• Troisième Partie

    Charlee est dans un bureau, bras croisés, assise sur une chaise. Elle attend. Un surveillant est venu la voir le matin même, avec une convocation dans le bureau de la psychologue scolaire pour l'après-midi. Sur le coup, la jeune fille n'a pas réagi. Elle n'y a pas prêté attention, sur le coup. Mais maintenant qu'elle y est, qu'elle patiente sur sa chaise tandis que la psychologue est partie chercher son café, elle se demande ce qu'elle peut bien faire ici. Certes, elle est de moins en moins attentive en cours, et elle en a parfaitement conscience, mais elle je pense pas que ce soit une raison suffisante pour que cette vieille dame proche de la retraite veuille la voir. Elle soupire, puis regarde par la fenêtre la pluie tomber, tout comme les feuilles des arbres en plein mois de novembre. Elle se met soudain à espérer que son Ange blond viendra la voir avec un parapluie, et qu'il la raccompagnera chez elle, après lui avoir fait découvert encore des merveilles dont lui seul à le secret. Un fin sourire apparaît sur ses lèvres en pensant à son homme.

    Soudain, la porte du bureau s'ouvre, mais l'adolescente ne réagit même pas, alors que la psychologue s'installe en face d'elle. Elle se racle rapidement la gorge pour signaler sa présence, et la jeune fille tourne doucement la tête vers elle, dévisageant ainsi la quinquagénaire légèrement en surpoids possédant un doux visage qui n'exprime que bienveillance et sympathie. Cette femme est réellement quelqu'un d'aimable, et les élèves n'ont aucun mal à se confier à elle, bien que d'autre s'amuser à se moquer, bien qu'elle n'y fasse pas attention. Charlee, quant à elle, ne s'est jamais intéressée à elle. C'est à peine si elle savait qu'il y a bien une psychologue scolaire tout les lundis, mardis et jeudis.

    -Et bien Charlee, est-ce que tu as une idée du pourquoi tu es ici ? Lui demande-t-elle avec une voix calme et posée tout en souriant à la jeune élève de première.

    -Parce que je suis trop distraite en cours ? Suppose alors la jolie rouquine, hésitante, s'enfonçant dans son siège.

    Elle se rappelle alors qu'elle devrait être en cours d'histoire, et qu'elle aimait davantage entendre son vieux professeur aigri parler de la Première Guerre Mondiale plutôt qu'être ici. Puis, elle se met à songer qu'elle n'a pas été spécialement gâtée au niveau de ses professeurs cette année, avec une vieille peau de vache en guise de professeur d'anglais, d'une jeunette qui n'est jamais là et ne possédant pas une once d'autorité pour professeur d'espagnol, un prof misogyne et limite tyrannique en sport et un stagiaire en maths qui a peur des élèves dès l'instant qu'ils sont plus grand que lui (chose très fréquent puisque le pauvre homme ne mesure qu'un petit mètre soixante-dix). En effet, elle n'a pas vraiment eu de chance. Seul Monsieur Torwell parvient à relever le niveau.

    -Charlee, tu m'écoutes ? L'interpelle gentiment la psychologue.

    -Euh, je... Oui... Bredouille l'adolescente, revenant brusquement à la réalité.

    -Je disais que je ne t'avais pas convoquée seulement pour tes problèmes d'attention. Répète-t-elle avec patience, sans perdre son sourire aimable. Certes, tes professeurs sont très inquiets à ce sujet, puisque plus le temps passe, plus tu es dans la lune. Mais certains de tes camarades m'ont révélée des choses assez.... préoccupantes. Avoue-t-elle alors.

    -Quelles choses ?

    -Ils disent t'avoir vu embrasser... dans le vide, parler toute seule.... Des petites choses comme ça. Lui répond-t-elle. Dis moi Charlee, aurais-tu des problèmes à la maison, avec ta maman ?

    «Avec ta maman.» Charlee grimace à l'entente de cette phrase. «Ta maman»... Elle a horreur d'entendre quelqu'un lui parler comme ça, comme si elle était qu'une enfant de cinq ans...

    -Non. Dit-elle, simplement. Et je n'embrasse pas dans le vide, et je ne parle pas toute seule. Corrige-t-elle ensuite, tout en croisant fermement les bras contre sa poitrine.

    -Avec qui parles-tu dans ce cas ?

    -Mon copain. Et il est bien réel. Assure la jeune fille dans le regard sceptique de la psychologue scolaire, qui s'empresse de noter quelque chose sur une feuille, tout en buvant nerveusement une gorgée de son café.

    -Je vois. Murmure-t-elle alors, soucieuse tout d'un coup.

    -Vous croyez que je suis folle, c'est ça ? Est loin d'être bête Charlee. Je ne suis pas folle !

    -Je pense que ta maman devrait prendre un rendez-vous avec... avec un spécialiste...

    -Mais je ne suis pas folle ! Rétorque l'adolescente, tout en se levant de sa chaise, sans la moindre intention de se rassoir.

    Et sans écouter les protestations de la psychologue, la jeune fille s'empresse de sortir de la salle. Elle déambule dans les couloirs, tout en faisant parfois des détours pour éviter les surveillants. Au bout de cinq bonnes minutes, elle est debout, devant la porte de la salle d'histoire où elle parvient à entendre la voix rauque de son professeur. Elle a le bras en l'air, prête à toquer pour manifester sa présence. Cependant, elle hésite. Si elle retourne en cours, un surveillant pourra très bien venir la chercher, et la forcer à retourner voir la psychologue. Une chose qu'elle ne désire absolument pas. Elle recule, et s'adosse contre le mur, partagée entre deux possibilités. Elle pourrait ne pas retourner en cours, mais elle ignore comment occuper le reste de son après-midi. Elle ne peut pas rentrer chez elle, pour la simple raison qu'elle n'en a pas envie. Mais où aller dans ce cas …

     

    Quelques minutes plus tard, elle est dehors, seulement deux rues plus loin de son lycée. Elle n'a eu aucun mal à sortir. La surveillance n'est pas particulièrement élevée, et c'était une chose aisée que de sortir sans attirer l'attention. Plusieurs adolescents entrent et sortent comme dans un moulin, sans que personne ne trouve quelque chose à y redire. Elle est adossée contre un mur de briques, les mains profondément enfoncées dans les poches de sa veste, les écouteurs dans les oreilles. Elle regarde autour d'elle avec impatience. Elle sautille même sur place. Elle regarde toutes les deux secondes l'heure sur son téléphone portable, tout en regardant si elle n'a pas reçu un message. Elle attend.

    Puis, au loin, elle voit son Ange blond. Elle aperçoit son sourire qui lui met son cœur en émoi. Elle quitte son mur. Elle court vers lui, et lui saute avec amour dans ses bras qui se referment sur elle. Elle est heureuse de le voir. Elle l'embrasse. Il lui prend tendrement la main, et l'emmène avec lui dans un lieu que lui seul connait. Les yeux de la jeune fille se remplissent d'étoiles. L'émerveillement s'emparent d'elle. Elle en oublie tout ses soucis qui la préoccupaient tant il y a à peine quelques minutes. Elle ne voit que lui, et seulement lui. Cet homme, son Ange, qu'elle aime tant. Avec qui elle voudrait rester pour l'éternité. Être avec lui, c'est tout ce qu'elle veut, elle souhaiterait de ne plus à avoir à rentrer chez elle. Fuir éternellement ses problèmes. Que le temps cesse d'avancer, pour rester avec lui dans les lieux magiques qu'il lui fait découvrir. Il lui caresse amoureusement le visage du bout des doigts. Il commence par le haut de son front, descend par l'une de ses tempes, puis ramène ses doigts vers son nez pour finir par le tour de ses lèvres. Elle le laisse faire, hypnotisée par sa beauté et par la bienveillance qu'il dégage. Elle lui murmure que son cœur lui appartient, il pose alors sa main à l'emplacement de cet organe vital....

    Le temps passe. C'est la fin de la journée quand Charlee quitte avec regret son Ange blond. Elle entre dans sa maison, sa mère l'attend sur le fauteuil, un verre de whisky dans une main, la bouteille dans l'autre. Elle semble l'attendre. Elle la regarde avec sévérité.

    -Où étais-tu ? Ton lycée m'a appelée.

    Sa fille ne répond rien, et se contente de la regarder avec lassitude. Son esprit est ailleurs, elle ne fait pas, plus, attention à ce que peut bien dire sa génitrice.

    -Tu as séché les cours ! Après avoir eu un rendez-vous avec la psychologue scolaire ! L'attaque-t-elle en hurlant presque. Tu parles toute seule maintenant ? Qu'est-ce que tu m'as encore inventée ?! Tu n'es pas possible ! Je n'en peux plus de toi ! Va dans ta chambre ! Et travaille ! Tu es privée de sortir, et je veux que tu rentres à la maison directement après les cours ! Je t'appellerai régulièrement ! Et tu as intérêt à répondre ! J'en ai assez Charlee, assez... Tu me fais honte ! Hurle-t-elle brusquement, tout en jetant sur sa fille sa bouteille de whisky.

    L'adolescente évite de justesse le projectile, mais reçoit quelques éclats de verre et des éclaboussures du liquide alcoolisé. Elle la scrute avec horreur. Et en silence, elle monte les escaliers. Elle s'enferme dans sa chambre. Et pleure. Encore et encore. La nuit commence à tomber, lorsqu'une main chaude et rassurante se pose sur son épaule.

    -Tu dois faire ce dont je t'ai parlé Lily. Lui murmure une voix suave. Elle ne pourra jamais te comprendre. C'est le seul moyen. Pour qu'on soit ensemble pour l'éternité. Pour toujours. Toi et moi.

    La jeune fille se lève. Elle descend les escaliers. Elle va dans la cuisine, en ignorant les grognements de sa génitrice. Elle ouvre un tiroir. Elle en sort un couteau.

    -Qu'est-ce que tu fais ? L'interroge alors une voix qui lui semble lointaine.

    Charlee regarde avec attention le couteau. Rien d'autre ne la préoccupe. Seul l'objet tranchant qu'elle tient entre ses mains l'intéresse.

    -Tu as raison. C'est le seul moyen pour être ensemble, loin de tout. Souffle-t-elle, d'une voix à peine audible.

    Elle prend le couteau avec ses deux mains. Elle le tourne vers elle. Et en ignorant les protestations désespérées de sa génitrice, elle enfonce l'arme fatale au plus profond de son cœur.


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