• Réel Imaginaire

    Le soleil commença à descendre dans le ciel, et je pressai le pas afin de rentrer plus rapidement chez moi. Je cachai davantage mon visage dans mon écharpe, ne supportant pas le froid qui s'installait de plus en plus et je scrutai avec inquiétude les alentours. Cela faisait quelques mois que je vivais dans cette ville qui m'était encore totalement inconnue, et donc, potentiellement dangereuse à mes yeux. Je croisai tout un tas d'individus et je les observai avec une certaine crainte alors qu'eux, m'ignoraient simplement. Lorsque j'arrivai enfin chez moi, je me dépêchai de sortir mes clés pour pouvoir rentrer le plus rapidement possible dans mon petit studio, le lieu le plus sécurisant de cette trop grande ville. Une fois à l'intérieur de ces quatre murs protecteurs, je soupirai de soulagement avant de me débarrasser de mon sac, de mon gros manteau, et de mon bonnet. J'allumai le chauffage et je me réfugiai dans mon lit pour chercher un peu de chaleur. Je fermai les yeux, et je ne fis rien d'autre que d'attendre la fin de mes tremblements. J'entendis soudainement mon portable vibrer dans mon sac, et je pestai. Je ne voulais pas quitter la chaleur de mes couvertures, d'autant plus que je savais pertinemment qui venait de m'envoyer un message. Cela ne pouvait être qu'une vague connaissance que je venais tout juste de quitter, et qui avait passé toute l'après-midi à niaiser sur son futur probable petit ami avec qui elle jouait au chat et à la souris. Sa bêtise me faisait rire, mais ses hésitations puériles à répétition commençaient à m'agacer. Prise d'un soudain courage, j'attrapai mon sac pour en sortir mon téléphone et voir ce qu'elle avait bien pu me dire. «Il est beau, mais j'ai bien envie de le faire courir encore pendant un moment, Lore'. Qu'est-ce que je fais ? Je cède ou pas ?». Je soupirai devant une telle imbécillité et je décidai de ne pas lui répondre. Elle était grande, elle avait même deux ans de plus que moi, et de ce fait, elle était parfaitement capable de prendre une décision toute seule. Je me mis sur le dos et j'observais pensivement le plafond. Elle m'agaçait bien souvent, surtout aujourd'hui où elle a passé sa journée à déblatérer sur son brun ténébreux en commentant pendant des heures son physique, dont deux entières à parler uniquement du postérieur de son bellâtre. Mais malgré cela, c'était la seule personne qui déniait m'adresser la parole à l'université. Les autres formaient des petits groupes bien solides et surtout, presque imperméables aux individus étrangers. Ils passaient leur temps à discuter joyeusement, à rire ensemble tout en se sentant parfaitement à l'aise dans cet environnement où je me sentais encore embarrassée. Le bâtiment était grand, trop grand et de nombreux inconnus déambulaient dans les couloirs avec aisance me donnant presque le vertige et créant en moi un sentiment de solitude. Sentiment exacerbé lorsque je rentrais chez moi, où j'avais tout le loisir de penser à mes amis restés dans ma ville natale, et de réfléchir. Ils me manquaient. Avant je les voyais tous les jours mais la distance faisait que ce n'était plus le cas aujourd'hui. Et cette douleur se creusait en moi chaque jour et rien dans cette nouvelle et grande ville ne parvenait à la dissiper. Je ne croyais en rien et le fait que j'aimais ce que j'étudiais ne changeait pas mon état d'esprit, loin de là. Je m'emmitouflai davantage dans mes couvertures, pleurant en silence sur ma triste et pathétique situation. J'étais seule dans mon coin, et je n'avais personne à qui expliquer ce que je ressentais, à quel point j'avais mal. J'étais entrée dans un nouveau monde qui se fichait royalement de ma personne, et je n'avais pas d'autre choix que de souffrir en silence, et de garder la tête haute malgré tout. C'est sur cette dernière pensée que je fermai les yeux, sombrant sans difficulté dans le sommeil.

     

    Prendre son mal en patience

    Oublier l'insouciance

    Ne pas avoir confiance

    Prendre son mal en patience...

    Devant les autres, se forcer à sourire,

    Et faire semblant de se réjouir...

     

    Une drôle d'odeur me chatouilla les narines lorsque je repris conscience. Un vent frais glissa sur mon visage, transportant avec lui une senteur de fleur. J'ouvris doucement les yeux, et je découvris avec stupeur un magnifique ciel bleu qui s'étendait juste au-dessus de moi. Je restai immobile pendant quelques secondes avant de brusquement m'asseoir. J'étais au milieu d'un champ de fleurs, toutes plus colorées et splendides les unes que les autres. Je pensai tout d'abord que je rêvai, mais je ressentais les choses avec tellement de clarté, de précision, de la même façon que si j'étais éveillée, que je me suis mise à en douter. Ce monde était étrange par sa beauté irréelle, et pourtant, l'impression d'être dans un rêve disparu rapidement. Je me levai doucement, et je ne vis rien d'autre que des fleurs à perte de vue. Je ne savais pas quoi faire. J'ignorais ce que je faisais ici, et ce lieu m'était totalement inconnu. Mais la curiosité prit le dessus. Je voulais découvrir ce monde merveilleux pour connaître le moindre de ses secrets ainsi que ses failles. Alors, j'avançai, droit devant moi. Je regardai partout, à la recherche de la plus petite irrégularité, d'un infime changement dans le décor. J'avançai, encore et encore, et de plus en plus vite. Je fus comme enivrée par cet endroit, éblouie par la lumière, transportée par la multitude d'odeurs, apaisée par le souffle du vent. Mes sens étaient en éveil, et cela me plaisait énormément. Je me mis à courir, sans plus chercher à savoir où j'allai. Je courai, tout simplement, scrutant l'horizon avec confiance. Je n'avais pas peur, ce monde avait beau être immense, il était tellement parfait qu'il ne pouvait pas être dangereux.

    Pourtant, je trébuchai, pour me retrouver brusquement le nez dans les fleurs. Je pestai aussitôt, maudissant l'obstacle qui me ralentit dans mon heureuse avancée, dans mon émerveillement. Cela faisait tellement longtemps que je ne m'étais pas sentie aussi légère, mais je fus contrainte de redescendre sur terre. Cela s'ajouta à mon agacement et à ma frustration.

    «Pourquoi cours-tu Lorelei ?» Me demanda soudainement une voix masculine qui m'était totalement inconnue. Je n'avais vu personne jusque là, et j'étais étonnée de croiser quelqu'un, et le fait qu'il connaisse mon nom s'ajouta à ma surprise. Je m'appuyai sur mes avants-bras pour l'observer avec hébétude.

    «Qui es-tu ? Comment tu connais mon nom ? Lui répondis-je alors qu'il s'agenouilla à mes côtés en souriant.

    -Je m'appelle Keylien. Et la façon dont je connais ton nom n'a pas d'importance.» M'assura-t-il sans perdre son sourire.

    Il n'ajouta rien et je fus plutôt intimidée. Il devait avoir à peu près mon âge, peut-être même un peu plus vieux, et semblait plutôt sympathique. Il m'aida à me relever, et je me sentis toute petite à côté de lui. Lorsqu'il me regarda dans les yeux, mon regard se perdit dans cet océan et j'eus l'impression de m'évader, de m'égarer dans la réalité. Je secouai légèrement la tête pour retrouver mes esprits tout en me traitant d'idiote, et je réalisai qu'il ne m'avait pas lâcher la main. Il afficha une nouvelle fois un charmant sourire pour ensuite m'inciter à le suivre. J'ignorai où il voulait m'emmener, mais je me sentais étrangement en confiance. Il avança tranquillement, en prenant son temps, et dans un sens, cela m'agaça. J'avais tellement hâte de découvrir ce monde que cette lenteur me frustrait plus qu'autre chose. Je me demandai s'il le faisait exprès, et son sourire en coin me le confirma. Cependant, je ne pouvais pas accélérer la marche, je n'avais pas la moindre idée de la destination. J'observai mon environnement, les fleurs à perte de vue et le soleil qui se couchait, donnant au ciel une magnifique couleur rosée. Je fus comme fascinée par le paysage, à un point que j'en oubliai presque Keylien. Une telle beauté me transporta, m'éblouit. J'étais calme et je ne m'étais jamais sentie aussi bien. Je ne faisais plus attention du lieu où j'allais, d'où j'étais, avec qui j'étais. Ce fut incroyable, mais la surprise de ce phénomène ne m'atteignit pas. Soudainement, je sentis que Keylien m'empêcha d'avancer davantage sans faire un quelconque geste brusque. Je revins doucement à la réalité, et je vis un immense gouffre s'étendre devant moi. J'eus aussitôt un mouvement de recul, terrifiée par ce vide sous mes pieds, désirant m'en éloigner le plus possible. Je lançai ensuite un regard interrogateur vers mon guide qui semblait sûr de lui et qui m'inspirait toujours autant confiance. Dans ces yeux, je ne voyais que gentillesse et affection, et il n'y avait aucune trace de malveillance quelconque.

    «Saute.» Me dit-il simplement.

    Au ton de sa voix, je sus que ce n'était pas un ordre, mais plutôt un conseil. Mais ce simple mot me surprit. Je ne m'attendais pas à entendre cela et lorsque je vis la profondeur du gouffre, je me dis aussitôt qu'il était tombé sur la tête. Une telle chute ne pouvait qu'être fatale, et je n'avais aucune envie de tenter l'expérience. Je fis savoir mon refus par un nouveau mouvement de recul et ma crainte s'afficha sur mon visage.

    «Prend des risques. Saute. Tu ne risques rien, je te le promets.» M'affirma-t-il en souriant une nouvelle fois.

    Il voulait me mettre davantage en confiance, et je comprenais bien qu'il voulait me montrer quelque chose. Et le seul moyen pour cela, c'était de faire ce qu'il disait. Je m'approchai doucement du bord et je scrutai avec inquiétude le fond que je ne parvins pas à voir. Je lançai un dernier regard vers le visage bienveillant de Keylien, puis, je fermai les yeux. Sans réfléchir une seconde de plus, essayant d'oublier un instant mes peurs, je sautai.

    La sensation était étrange. Je n'avais plus aucun contrôle de mes gestes, de mes mouvements. Je pouvais faire ce que je voulais, je continuais de tomber et cela me terrifiait. Je suffoquais, je cherchais du regard la moindre chose à laquelle je pourrais m'accrocher. Mais il n'y avait rien, je ne discernais plus rien et cela me désespérait. Je sombrais dans le vide et rien n'arrêtait ma chute. J'essayais de hurler, de manifester ma terreur, d'appeler à l'aide mais rien ne se produisait. J'étais perdue dans un trou immense et je finissais par me résigner. J'abandonnais, je baissais les bras et je me laissais volontairement tomber sans plus me battre. Je vis des branches, mais je tentai même plus de les attraper. Je pensai-s que je n'avais plus aucune chance. J'étais finie, et j'allai m'écraser comme une imbécile au fond du gouffre.

    Mais soudainement, sans que je m'y attende et alors que j'allais atteindre le fond, quelqu'un me rattrapa et me prit dans ses bras. C'est avec surprise que je vis Keylien, qui me souriait avec amusement. Je fus hébétée de le voir, mais aussi soulagée. Aussitôt, et sans que je m'en rende réellement compte, nous fûmes de nouveau au bord du gouffre et il me reposa à terre tout en gardant ma main dans la sienne. J'observai une nouvelle fois le vide, sans aucun désir d'y retourner.

    «Tu passes ton temps à courir, et tu finis par tomber. Mais sache qu'il y a toujours quelqu'un qui est là pour t'aider à te relever... Même si tu n'as plus d'espoir. M'affirma-t-il avec une voix douce et calme.

    -J'aurais pu mourir. Soufflai-je en réponse, encore sous le choc de ma chute.

    -Non, car ce n'était pas réel.» Me contredit-il tout en m'emmenant autre part.

    Je le suivis sans la moindre hésitation. Je me fichais de l'endroit où il m'emmena et je ne regardai que lui pendant tout le trajet. Ma main dans la sienne, sa proximité, sa présence me rassurèrent. Je me sentais protégée avec lui, et quelque chose au fond de moi me disait que rien ne pouvait m'arriver tant que je serai avec lui. C'était une étrange sensation, presque irréelle, mais j'aimais cela. Le reste n'avait que très peu d'importance.

    Nous arrivâmes en haut d'une montagne, ce qui me surprit. Je n'avais pas fait attention au décor durant notre avancé, et j'étais déconcertée de voir le monde entier devant moi. Il s'assit, et m'invita à faire de même. Je me perdais dans l'horizon avec plaisir, mais je savais que rien de tout cela n'était réel. Tout était trop beau, trop incroyable pour que cela puisse exister réellement.

    «Tout est fictif, rien n'existe.» Murmurai-je alors, me décidant à faire part de mes pensées. Dire cela à voix haute me fit du mal, mais me soulagea aussi, d'une certaine manière. Keylien me regarda, comme s'il s'attendait à ce que je dise autre chose.

    «Je ne veux pas revenir dans le monde réel. Avouai-je alors dans un soupir. L'illusion est plus simple.

    -Mais rien n'est plus beau que la réalité.» Me susurra-t-il au creux de l'oreille, tout en me tendant une splendide rose rouge. Je la pris entre mes doigts et je souris. Je tournai mon visage vers lui, qu'il prit entre ses mains. Ses lèvres se posèrent tendrement sur les miennes et je sombrai dans un tourbillon de rêves.

     

    Lorsque s'installe la nostalgie,

    Le jour vient où je te vois,

    Dès cet instant, plus rien ne compte à part toi,

    Te parler me fait oublier tous mes soucis...

     

    J'ouvris doucement les yeux et je vis les rayons du soleil traverser la fenêtre. Je m'assis dans mon lit, et ce fut avec une certaine déception que je réalisai que j'étais dans mon studio. Je soupirai au souvenir de mon merveilleux rêve, puis je me décidai à me lever pour pouvoir me préparer à aller en cours. Je pris mon temps, n'étant pas spécialement pressée. Je m'étais réveillée en avance, je n'avais aucune raison de me dépêcher. J'eus même le temps d'observer la rue, les quelques personnes dehors au travers de ma fenêtre.

    Au moment de partir, lorsque je récupérai mon portable posé sur la table basse, et j'eus un moment d'hésitation. Je me souvenais parfaitement du message que j'avais reçu hier et auquel je n'avais pas envie de répondre. Je le relus une nouvelle fois et je réfléchis un instant avant de lui donner finalement une réponse.

    «Fonce ! La vie est trop courte pour attendre !»

    Je ne tardai pas à l'envoyer, puis je souris. Je savais bien qu'elle allait encore me faire partager ses multiples hésitations, mais j'étais plutôt de bonne humeur. Je saurai prendre le temps de l'écouter et de la conseiller. Du moins, j'essaierai.

    Je pris mes affaires et je me dirigeai vers la sortie de l'appartement tranquillement. Mais en ouvrant la porte, une surprise m'attendait et me déstabilisa, pour ensuite me faire naître un véritable sourire.

    Une rose rouge y était accrochée en évidence.

     

    Non, tout n'est pas fini

    Car se profile un bel avenir

    Il est inutile d'essayer de fuir.

    Des hauts et des bas, c'est ainsi qu'est faite la vie...

     

     

     

    -----------------------------------------------------------------------------------------Estelle, Novembre 2012


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