• En lisant ces mots, je n'ai pu m'empêcher de sourire. Même si elle s'est parfois montré méchante avec moi, je ne peux pas lui en vouloir aujourd'hui. Je sais qu'elle est sincère dans ce qu'elle a écrit. Elle veut changer, et elle va changer. J'en suis persuadée. Dans un sens, j'espère aussi qu'elle a hérité de mon coeur. Je n'en ai plus besoin aujourd'hui, et s'il peut permettre à quelqu'un d'autre de vivre, alors, cela me rend heureuse. Et dans un sens, cela me permet de continuer à exister, à moi aussi... Même s'il est temps que je m'en aille. Je ne peux pas rester éternellement dans le monde des vivants. Ma place n'est plus ici...

    Sur cette pensée, je me trouve dans un tout autre endroit, très calme, illuminé par le soleil, où le silence est maître. Un cimetière. Je ne me demande même pas pourquoi je me trouve ici. Je baisse la tête, et je vois une tombe, juste en face de moi. Ma tombe.

     Evangeline Riviere

    1994-2009

     Ca y est. Je me souviens de tout. De mon identité, de qui j'étais, de ma vie...

     Je peux maintenant m'en aller...

     

     

    ----------------------------------------------------------------------Estelle, Participation au Prix Clara 2011


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  • Je me suis toujours demandée comment ce serait passées les choses si j'avais fait des choix différents. Si je n'étais pas ce que je suis, mais quelqu'un d'autre qui me ressemblerait physiquement, mais qui ne serait pas moi. Je ne saurai jamais, puisque je suis comme je suis, et que l'on ne peut pas revenir en arrière. 
    Je ne cesse de repenser à une époque où tout était plus simple, où je ne me prenais pas la tête pour des choses futiles, sans importance. En fait, je ne me prenais pas la tête sur grand chose, puisque j'étais toujours dans mon monde, coupée de la réalité. Cela me faisait tellement de bien d'être ma tête. Là au moins, j'étais en sécurité, j'étais libre, je faisais ce que je voulais, et personne ne pouvait m'interdire quoique ce soit. Quand j'étais petite fille, je m'imaginais princesse, et adolescente, je m'imaginais la tête du mec parfait. 
    Oui, à cette époque, tout était bien plus simple. Mais aujourd'hui, j'admets que j'aurai aimé que ma mère me dise : « Il serait peut-être temps que tu te bouges Charlee. La vie est dure, et elle n'est pas livrée avec un mode d'emploi. Ce n'est pas en restant dans ta bulle que tu vas avancer. Vois-tu, dans la vie, il faut se tuer à la tâche, bosser pour un patron qui veut du profit, et encore du profit. En plus, il faudrait que tu paies les cotisations et les impôts, parce que vivre, ce n'est pas gratuit. Oui, la vie est dure, mais on n'a pas le choix. Des personnes crèvent de faim, d'autres se tuent au travail pour les plus aisés. Chacun sa merde. Crois-moi, ce sera ça toute ta vie. Tu vas passer ton temps à bosser, bosser et encore bosser, pour même pas récolter une miette. Et oui, elle est dure la vie, elle est dure. Et il serait peut-être temps que tu ouvres les yeux, que la vie n'est pas rose.» Oui, j'aurai aimé qu'elle me dise ça... Non, en fait, elle me l'a dit, mot pour mot, entre deux verres de whisky en rentrant de son travail qu'elle détestait, à chaque fois qu'elle recevait mon bulletin. Mais comme d'habitude, je ne l'ai pas écouté.
    Parce qu'à cette époque, je n'avais d'yeux que pour mon ange blond de mes rêves. J'aurai fait n'importe quoi pour lui. Je lui aurai même donné ma vie, mon existence, tout ce qui faisait que j'étais moi. Oui, j'étais amoureuse d'un rêve. 
    L'ennuie, c'est qu'à force, et en si peu de temps, je n'arrivais plus à distinguer du rêve et de la réalité. Tout était embrouillée dans mon esprit. Mais le pire, c'est que je m'en fichais. Au contraire, j'étais plutôt heureuse. Je voyais davantage mon ange blond. 
    Non, je ne me droguais pas. J'étais parfaitement lucide. Je m'enfonçais volontairement, tête baissée, dans un autre monde. 
    Sauf qu'à force de plonger dans l'imaginaire, ça a fini par se retourner contre moi. Et aujourd'hui, le piège s'est refermé sur moi, et je ne peux plus en sortir. 
    Je ne peux plus rien faire, tout est fini. La seule chose que je peux faire, c'est essayer de me rappeler comment j'ai pu en arriver là...

    Je m'appelle Charlee Beaulair, et voici mon histoire...


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  • Ce jour-là était un jour comme les autres dans ce lycée générale. Les élèves s'ennuyaient en cours, les professeurs tentaient tant bien que mal à attirer leur attention et à les empêcher de faire n'importe quoi. Sauf dans une classe de première, qui avait un cours de français avec un certain Monsieur Torwell. Les élèves écoutaient avec attention, prenant soigneusement des notes. Enfin, surtout les jeunes filles, puisque les garçons luttaient contre eux-même pour ne pas s'endormir. Le professeur s'en est toujours amusé d'ailleurs, lorsqu'il vantait les mérites de ses élèves, surtout des adolescentes. Ces dernières buvaient les paroles de leur professeur -un petit jeune brun aux yeux bleus- et leurs notes grimpaient en flèche durant l'année.

    Sauf pour le cas d'une élève, qui elle conserve le même 12 de moyenne. Elle écoute d'une oreille distraite le cours, ne faisant pas tellement attention à ce qui est entrain de se passer. Elle est au fond de la classe alors que la plupart des filles sont devant, et attend patiemment que le temps passe. Non, en fait, cette jolie rouquine ne se contente pas d'attendre, elle est dans la lune, à vrai dire. L'adolescente, pense, rêve à autre chose. Elle s'imagine des petits scénarios rigolotes, même si elle rêve d'histoires d'amour le plus souvent...

    -Mademoiselle Beaulair, ce n'est pas parce que vous portez un nom qui ressemble beaucoup à celui d'un auteur célèbre du XIXème siècle que vous pouvez vous permettre de ne pas écouter en cours ! L'interpelle vivement le jeune professeur de français, la faisant ainsi sursauter.

    -Excusez moi. Bredouille-t-elle timidement, revenant ainsi à la réalité.

    -Soyez plus attentive ! Ajoute-t-il sévèrement, avant de reprendre son cours.

    La jeune fille baisse la tête, un peu honteuse d'être prise en faute de cette manière. Elle sait que le cours de français n'est pas le cours le plus idéal pour rêvasser, d'autant plus qu'il y a le baccalauréat à la fin de l'année et que le professeur ne laisse rien passer, mais c'est plus fort qu'elle. Elle éprouve comme un besoin de penser à autre chose, qu'à son triste quotidien sans importance.

    La sonnerie retentit, et tous les élèves se pressent à ranger leurs affaires, n'écoutant déjà plus le professeur. La jeune fille fait de même, et se dépêche de sortir, tout en baissant la tête pour ne pas que Torwell ne la remarque.

    -Mademoiselle Beaulair, venez un peu par ici. J'aimerai vous parler. L'interpelle ce dernier, d'un ton sec.

    L'adolescente fait donc demi-tour, tête basse, honteuse. Lorsque tous ses camarades sont sortis, le professeur se tourne vers elle.

    -Vous êtes de plus en plus distraite en cours, mademoiselle. Et je ne suis pas le seul à l'avoir constater. Mes collègues m'en ont fait part, que vous êtes dans la lune. Lui signale-t-il.

    -Je sais. Lui répond-t-elle d'une petite voix.

    -Quelque chose ne va pas ? Vous avez des problèmes ? L'interroge-t-il ensuite.

    -Non... Tout va bien...

    -Tant mieux... Mais si quelque chose ne va pas, n'hésitez pas à venir nous en parler. Nous sommes là pour aider les élèves en général, pour tout ce qui contribuera à leur réussite.

    -Oui, je sais.

    -Vous pouvez y aller, mais faites un effort de concentration. Conclut-il.

    -Je vais essayer... Au revoir Monsieur.

    -Au revoir Mademoiselle Beaulair.

    L'adolescente sort enfin de la salle devant le regard inquiet de son professeur, qui se demande ce qui peut bien se passer dans la petite tête rousse de son élève, qui était d'une grande attention en début d'année. Charlee traverse les couloirs à toute vitesse, sans pour autant courir, voulant sortir de ce lycée où elle a l'impression d'étouffer. Elle avance, très rapidement, et elle est maintenant à l'extérieur du bâtiment. Beaucoup d'adolescents sont encore devant, à discuter, fumer ou attendre quelqu'un. Elle ne fait pas attention à eux, puisqu'elle se fiche bien de leur personne. Ils n'ont rien d'intéressant qui pourrait l'interpeler. Mais alors qu'elle lève la tête, elle remarque au loin, un jeune homme un peu plus vieux qu'elle, un sourire bienveillant peint sur le visage, le vent faisant voler quelques unes de ses mèches blondes. Son visage juvénile s'illumine et elle se dépêche d'aller à sa rencontre. Elle se jette dans ses bras, heureuse de le revoir, cet homme qu'elle aime plus que tout. Un homme qui lui a beaucoup manqué depuis qu'il est parti. Un homme qui l'embrasse, puis la prend par la main, pour l'emmener autre part. Dans un lieu que lui seul connait, comme toujours, mais un endroit où la jeune fille va passer un merveilleux moment à ses côtés. Elle le sait. Puisque tout devient paradis lorsqu'elle est avec lui...

    Quelques heures plus tard, il est plus de vingt heures, Charlee rentre enfin chez elle. Une fois dans la maison, une forte odeur de tabac s'impose à elle, et la fait grimacer. Sa mère est assise sur le canapé, un verre de whisky dans la main gauche, et une cigarette dans la main droite. Une bien triste image que Charlee a l'habitude de voir quand elle revient d'une longue journée de cours.

    -Où étais-tu ? L'interroge d'une voix morne sa mère, dès qu'elle entend la porte d'entrée claquer.

    -Quelque part, tu ne connais pas.

    -Le lycée a appelé. Ton prof de français plus précisément. Il m'a demandé si tu avais des problèmes. Lui annonce-t-elle. Qu'as-tu fait encore Charlee ?

    -Rien.

    -Fous toi de ma gueule !! Vocifère l'alcoolique, tout en se levant pour faire face à sa progéniture. Je te préviens, ce con de prof appelle encore une fois, ça ira mal pour toi ! Il faudrait que tu bosses un peu, au lieu de faire n'importe quoi ! La vie est une chienne Charlee, il faut que tu l'imprimes si tu n'as pas envie de tout foirer !

    L'adolescente ne répond rien, et se contente de lancer un regard noir à sa génitrice. Sans un mot supplémentaire, elle monte les escaliers, doucement, pour ensuite aller dans sa chambre, et y rester pour le reste de la soirée.

    Elle s'allonge sur son lit, et regarde le plafond. Son esprit vagabonde, et elle s'imagine un monde où sa mère n'est pas elle, où tout va bien. Où tout est beau, où elle pourrait vivre avec son amour aux cheveux blonds. Elle n'a qu'une hâte : avoir dix-huit ans, et pouvoir ainsi partir d'ici, au bras de son ange. Un monde où elle serait heureuse tout le temps, où elle ne subirait plus aucune contrainte. Un monde rempli d'espoirs et de rêves....

    Elle ferme les yeux, et s'endort rapidement.


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  • Je n'ai jamais réellement aimé ma mère. Non pas que je la détestais, mais je ne l'aimais pas. Je ne saurais pas expliqué pourquoi. Avant, elle était une maman modèle. Elle s'occupait beaucoup de moi, comme si elle avait peur de me perdre si elle ne le faisait pas. Elle voulait être là pour moi, me voir illuminer ses journées par un sourire innocent rempli de joie, entendre mon rire léger de petite fille. Comme toutes les mères, elle souhaitait que je sois heureuse, s'imaginant un brillant avenir devant moi. Je suis sûre qu'elle devait rêver que je devienne une incroyable chirurgienne qui sauvent chaque jour des vies, ou même une avocate juste qui défend les victimes d'injustice. Ceci, tout en étant mariée à l'archétype du prince charmant des temps modernes. Avant, elle était comme toutes les mamans. Avant. Avant que mon père s'en aille. Avec sa secrétaire. Cliché, je sais, un notaire qui quitte sa femme pour sa petite collègue de travail plus jeune que lui. Mais c'est ainsi que cela s'est passé. Je le voyais de temps en temps, avec sa pimbêche blonde qui avait plus d'atouts physiques que d'intelligence. Mais il passait plus de temps à lui faire la cour et à la bécoter, qu'à s'occuper de moi. Je ne l'ai jamais aimé, sa grognasse avec son rire d'imbécile sans cervelle. Elle m'a enlevé mon père, et a privé ma mère d'un bonheur qu'elle méritait. A cause d'elle, ma mère a plongé très vite dans l'alcool pour oublier. Dans le whisky surtout. La boisson préférée de mon père. Comme par hasard. C'est assez paradoxale d'ailleurs, au sens courant je veux dire. Elle voulait oublier son ex-mari, et elle se soûle avec son breuvage favori. Puis, elle a été virée. Et elle s'est trouvée un autre boulot, beaucoup moins bien que l'ancien. Un boulot qu'elle n'aimait pas, avec des collègues ingrats. Mais, comme elle me l'a si souvent répété, la vie n'est pas gratuite. Je crois bien que c'est le dernier acte maternel qu'elle a fait. Se sacrifier pour moi. Mais ma mère est vite partie, laissant place à un corps déambulant dans l'existence avec pour seul carburant le whisky et le désespoir.

    Quant à moi, j'ai assisté à tout cela. Sans pouvoir rien faire. Je n'étais qu'une gamine à l'époque, et je me disais que cela ne pouvait pas être si grave. Que le lendemain serait plus ensoleillé. Que maman serait de nouveau heureuse. Je n'étais qu'une gamine, et j'étais bien naïve. Je ne comprenais rien. Je me demandais qui était cette pimbêche blonde à gros seins qui faisait des bisous et les yeux doux à mon père, alors que ce n'était pas ma mère. Je me demandais pourquoi maman était si triste, et pourquoi je ne pouvais rien faire pour la faire sourire. J'étais petite, et j'ai vu la dégénérescence de ma propre mère. Sa transformation en une parfaite inconnue qui passe son temps à boire. En grandissant, j'ai fini par comprendre. Et malgré la plus grande compassion du monde, il m'était impossible de l'aimer, cette loque de femme. Ce n'était pas ma mère. Ce n'était plus ma maman. Cependant, j'ai refusé d'en parler à qui que ce soit, faisant tout mon possible pour que personne ne soit au courant de la dépression de ma mère. Je m'arrangeais pour que ce soit mon père qui aille à mes réunions parents/professeurs. Et lorsqu'il est parti aux États-Unis avec sa grosse, je mentais, je disais aux profs qu'elle était en voyage d'affaire, ou bien qu'elle travaillait tard. Ça a toujours fonctionné. Ils n'y ont vu que du feu. D'autant plus qu'avec le temps, j'ai réussi à m'inventer un rôle, celle de la petite fille modèle qui a une vie de rêve. Tout le monde y croyait. Tout le monde est tombé dans le panneau. La vérité, personne ne s'en doutait. Je n'avais pas honte. Mais je savais que si cela venait à se savoir, on risquerait de m'enlever à ma mère pour me confier à mon père ou à quelqu'un d'autre. Des gens sensés ne laissent pas une enfant sous la responsabilité d'une alcoolique colérique. C'est bien trop dangereux. Mais pourtant, la seule chose qui motive ma mère à se lever le matin, c'est bien moi. Si on venait m'enlever à elle, la pauvre n'y survivrait pas. J'en avais bien conscience, et c'est bien pour cela que je gardais tout secret. J'étais une effroyable menteuse. Je voulais protéger ma mère. Celle qui m'a mise au monde. Parce que, même si elle n'était plus un modèle à suivre pour les jeunes mamans, elle restait ma mère. Même si elle n'était plus qu'un cadavre ambulant. C'était ma mère.

    Mais le quotidien à la maison devenait de plus en plus insupportable. Elle gueulait tout le temps. Après la mondialisation et le capitalisme. Après les hommes politiques. Après son patron. Après les voisins. Après moi. Tout le temps. Pour tout et n'importe quoi. Je l'entendais de ma chambre, à l'étage, la porte fermé avec la radio allumée. Et je ne pouvais rien faire, à part mettre toutes les chances de mon côté pour avoir l'avenir dont elle rêvait. Je travaillais à l'école, et j'avais de bonnes notes. Je passais des heures entières dans ma chambre, à faire mes devoirs et à apprendre mes leçons. Et les résultats étaient là. Mais ma mère ne disait rien. A croire qu'elle s'en fichait. Mais je continuais de travailler, m'octroyant très peu, voire pas du tout, de loisirs. Je n'avais pas d'ami, et c'était tant mieux. Comme ça, personne ne pourrait deviner quoique ce soit. Comme ça, je pouvais rester avec ma mère. Elle était ainsi, ma vie. Avant.

    Parce qu'ensuite, j'ai rencontré mon ange blond. Il est venu à moi, alors que je rentrais de cours. Au début, j'ai essayé de l'ignorer. Puis, j'ai accepté de lui répondre. Nous avons sympathisé. Nous sommes devenus amis. Et enfin, nous nous sommes mis ensemble. Il rendait mes journées plus belles. Il était comme mes sourires quand j'étais petite. Plus le temps passait, plus j'avais besoin de lui. Il est devenu comme une drogue. J'avais besoin de ma dose quotidienne, et il était toujours là. J'étais devenu dépendante de lui. Totalement. Je ne pouvais plus vivre sans lui. Grâce à lui, mes journées étaient supportables. Je passais moins de temps à travailler, et je l'utilisais pour être avec lui. Je me vidais le coeur avec lui. Et je me sentais plus légère. Il ne disait rien, il se contentait de m'écouter. Il était tout ce dont j'avais besoin. Mon ange blond est devenu la base même de mon existence. Quelqu'un aurait découvert les problèmes de ma mère que cela ne m'aurait fait ni chaud ni froid. Du moment que j'étais avec mon ange blond. Avec lui, je n'étais plus la malheureuse adolescente qui se sacrifie pour que sa mère continue à rester debout. Avec lui, j'étais enfin entière, pleinement heureuse. Je l'avais trouvé, mon prince charmant des temps modernes.

    Je haïssais la pimbêche blonde de mon père. Je détestais mon père. Ils étaient le commencement de la chute aux enfers de ma mère.

    Mais j'aimais mon ange blond, et cela m'était amplement suffisant.

      

    Bordel, si j'avais su ….


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  • Charlee est dans un bureau, bras croisés, assise sur une chaise. Elle attend. Un surveillant est venu la voir le matin même, avec une convocation dans le bureau de la psychologue scolaire pour l'après-midi. Sur le coup, la jeune fille n'a pas réagi. Elle n'y a pas prêté attention, sur le coup. Mais maintenant qu'elle y est, qu'elle patiente sur sa chaise tandis que la psychologue est partie chercher son café, elle se demande ce qu'elle peut bien faire ici. Certes, elle est de moins en moins attentive en cours, et elle en a parfaitement conscience, mais elle je pense pas que ce soit une raison suffisante pour que cette vieille dame proche de la retraite veuille la voir. Elle soupire, puis regarde par la fenêtre la pluie tomber, tout comme les feuilles des arbres en plein mois de novembre. Elle se met soudain à espérer que son Ange blond viendra la voir avec un parapluie, et qu'il la raccompagnera chez elle, après lui avoir fait découvert encore des merveilles dont lui seul à le secret. Un fin sourire apparaît sur ses lèvres en pensant à son homme.

    Soudain, la porte du bureau s'ouvre, mais l'adolescente ne réagit même pas, alors que la psychologue s'installe en face d'elle. Elle se racle rapidement la gorge pour signaler sa présence, et la jeune fille tourne doucement la tête vers elle, dévisageant ainsi la quinquagénaire légèrement en surpoids possédant un doux visage qui n'exprime que bienveillance et sympathie. Cette femme est réellement quelqu'un d'aimable, et les élèves n'ont aucun mal à se confier à elle, bien que d'autre s'amuser à se moquer, bien qu'elle n'y fasse pas attention. Charlee, quant à elle, ne s'est jamais intéressée à elle. C'est à peine si elle savait qu'il y a bien une psychologue scolaire tout les lundis, mardis et jeudis.

    -Et bien Charlee, est-ce que tu as une idée du pourquoi tu es ici ? Lui demande-t-elle avec une voix calme et posée tout en souriant à la jeune élève de première.

    -Parce que je suis trop distraite en cours ? Suppose alors la jolie rouquine, hésitante, s'enfonçant dans son siège.

    Elle se rappelle alors qu'elle devrait être en cours d'histoire, et qu'elle aimait davantage entendre son vieux professeur aigri parler de la Première Guerre Mondiale plutôt qu'être ici. Puis, elle se met à songer qu'elle n'a pas été spécialement gâtée au niveau de ses professeurs cette année, avec une vieille peau de vache en guise de professeur d'anglais, d'une jeunette qui n'est jamais là et ne possédant pas une once d'autorité pour professeur d'espagnol, un prof misogyne et limite tyrannique en sport et un stagiaire en maths qui a peur des élèves dès l'instant qu'ils sont plus grand que lui (chose très fréquent puisque le pauvre homme ne mesure qu'un petit mètre soixante-dix). En effet, elle n'a pas vraiment eu de chance. Seul Monsieur Torwell parvient à relever le niveau.

    -Charlee, tu m'écoutes ? L'interpelle gentiment la psychologue.

    -Euh, je... Oui... Bredouille l'adolescente, revenant brusquement à la réalité.

    -Je disais que je ne t'avais pas convoquée seulement pour tes problèmes d'attention. Répète-t-elle avec patience, sans perdre son sourire aimable. Certes, tes professeurs sont très inquiets à ce sujet, puisque plus le temps passe, plus tu es dans la lune. Mais certains de tes camarades m'ont révélée des choses assez.... préoccupantes. Avoue-t-elle alors.

    -Quelles choses ?

    -Ils disent t'avoir vu embrasser... dans le vide, parler toute seule.... Des petites choses comme ça. Lui répond-t-elle. Dis moi Charlee, aurais-tu des problèmes à la maison, avec ta maman ?

    «Avec ta maman.» Charlee grimace à l'entente de cette phrase. «Ta maman»... Elle a horreur d'entendre quelqu'un lui parler comme ça, comme si elle était qu'une enfant de cinq ans...

    -Non. Dit-elle, simplement. Et je n'embrasse pas dans le vide, et je ne parle pas toute seule. Corrige-t-elle ensuite, tout en croisant fermement les bras contre sa poitrine.

    -Avec qui parles-tu dans ce cas ?

    -Mon copain. Et il est bien réel. Assure la jeune fille dans le regard sceptique de la psychologue scolaire, qui s'empresse de noter quelque chose sur une feuille, tout en buvant nerveusement une gorgée de son café.

    -Je vois. Murmure-t-elle alors, soucieuse tout d'un coup.

    -Vous croyez que je suis folle, c'est ça ? Est loin d'être bête Charlee. Je ne suis pas folle !

    -Je pense que ta maman devrait prendre un rendez-vous avec... avec un spécialiste...

    -Mais je ne suis pas folle ! Rétorque l'adolescente, tout en se levant de sa chaise, sans la moindre intention de se rassoir.

    Et sans écouter les protestations de la psychologue, la jeune fille s'empresse de sortir de la salle. Elle déambule dans les couloirs, tout en faisant parfois des détours pour éviter les surveillants. Au bout de cinq bonnes minutes, elle est debout, devant la porte de la salle d'histoire où elle parvient à entendre la voix rauque de son professeur. Elle a le bras en l'air, prête à toquer pour manifester sa présence. Cependant, elle hésite. Si elle retourne en cours, un surveillant pourra très bien venir la chercher, et la forcer à retourner voir la psychologue. Une chose qu'elle ne désire absolument pas. Elle recule, et s'adosse contre le mur, partagée entre deux possibilités. Elle pourrait ne pas retourner en cours, mais elle ignore comment occuper le reste de son après-midi. Elle ne peut pas rentrer chez elle, pour la simple raison qu'elle n'en a pas envie. Mais où aller dans ce cas …

     

    Quelques minutes plus tard, elle est dehors, seulement deux rues plus loin de son lycée. Elle n'a eu aucun mal à sortir. La surveillance n'est pas particulièrement élevée, et c'était une chose aisée que de sortir sans attirer l'attention. Plusieurs adolescents entrent et sortent comme dans un moulin, sans que personne ne trouve quelque chose à y redire. Elle est adossée contre un mur de briques, les mains profondément enfoncées dans les poches de sa veste, les écouteurs dans les oreilles. Elle regarde autour d'elle avec impatience. Elle sautille même sur place. Elle regarde toutes les deux secondes l'heure sur son téléphone portable, tout en regardant si elle n'a pas reçu un message. Elle attend.

    Puis, au loin, elle voit son Ange blond. Elle aperçoit son sourire qui lui met son cœur en émoi. Elle quitte son mur. Elle court vers lui, et lui saute avec amour dans ses bras qui se referment sur elle. Elle est heureuse de le voir. Elle l'embrasse. Il lui prend tendrement la main, et l'emmène avec lui dans un lieu que lui seul connait. Les yeux de la jeune fille se remplissent d'étoiles. L'émerveillement s'emparent d'elle. Elle en oublie tout ses soucis qui la préoccupaient tant il y a à peine quelques minutes. Elle ne voit que lui, et seulement lui. Cet homme, son Ange, qu'elle aime tant. Avec qui elle voudrait rester pour l'éternité. Être avec lui, c'est tout ce qu'elle veut, elle souhaiterait de ne plus à avoir à rentrer chez elle. Fuir éternellement ses problèmes. Que le temps cesse d'avancer, pour rester avec lui dans les lieux magiques qu'il lui fait découvrir. Il lui caresse amoureusement le visage du bout des doigts. Il commence par le haut de son front, descend par l'une de ses tempes, puis ramène ses doigts vers son nez pour finir par le tour de ses lèvres. Elle le laisse faire, hypnotisée par sa beauté et par la bienveillance qu'il dégage. Elle lui murmure que son cœur lui appartient, il pose alors sa main à l'emplacement de cet organe vital....

    Le temps passe. C'est la fin de la journée quand Charlee quitte avec regret son Ange blond. Elle entre dans sa maison, sa mère l'attend sur le fauteuil, un verre de whisky dans une main, la bouteille dans l'autre. Elle semble l'attendre. Elle la regarde avec sévérité.

    -Où étais-tu ? Ton lycée m'a appelée.

    Sa fille ne répond rien, et se contente de la regarder avec lassitude. Son esprit est ailleurs, elle ne fait pas, plus, attention à ce que peut bien dire sa génitrice.

    -Tu as séché les cours ! Après avoir eu un rendez-vous avec la psychologue scolaire ! L'attaque-t-elle en hurlant presque. Tu parles toute seule maintenant ? Qu'est-ce que tu m'as encore inventée ?! Tu n'es pas possible ! Je n'en peux plus de toi ! Va dans ta chambre ! Et travaille ! Tu es privée de sortir, et je veux que tu rentres à la maison directement après les cours ! Je t'appellerai régulièrement ! Et tu as intérêt à répondre ! J'en ai assez Charlee, assez... Tu me fais honte ! Hurle-t-elle brusquement, tout en jetant sur sa fille sa bouteille de whisky.

    L'adolescente évite de justesse le projectile, mais reçoit quelques éclats de verre et des éclaboussures du liquide alcoolisé. Elle la scrute avec horreur. Et en silence, elle monte les escaliers. Elle s'enferme dans sa chambre. Et pleure. Encore et encore. La nuit commence à tomber, lorsqu'une main chaude et rassurante se pose sur son épaule.

    -Tu dois faire ce dont je t'ai parlé Lily. Lui murmure une voix suave. Elle ne pourra jamais te comprendre. C'est le seul moyen. Pour qu'on soit ensemble pour l'éternité. Pour toujours. Toi et moi.

    La jeune fille se lève. Elle descend les escaliers. Elle va dans la cuisine, en ignorant les grognements de sa génitrice. Elle ouvre un tiroir. Elle en sort un couteau.

    -Qu'est-ce que tu fais ? L'interroge alors une voix qui lui semble lointaine.

    Charlee regarde avec attention le couteau. Rien d'autre ne la préoccupe. Seul l'objet tranchant qu'elle tient entre ses mains l'intéresse.

    -Tu as raison. C'est le seul moyen pour être ensemble, loin de tout. Souffle-t-elle, d'une voix à peine audible.

    Elle prend le couteau avec ses deux mains. Elle le tourne vers elle. Et en ignorant les protestations désespérées de sa génitrice, elle enfonce l'arme fatale au plus profond de son cœur.


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