• Nous sommes maintenant en fin d'après-midi. Depuis que nous sommes rentrés, un lourd silence règne dans la maison, Tania ne cessant de répéter que je ne pourrai rien faire pour empêcher Arezki de l'attraper et de la tuer. Moi je suis convaincu du contraire, je ne quitte pas des yeux la jeune femme, même quand je travaille sur mon ordinateur portable. Quand elle monte dans sa chambre, je la suis et je m'installe sur le fauteuil qui est dans la pièce. Elle ne dit rien. Tout me révéler a dû lui remettre tant de souvenirs dans sa tête. Des souvenirs qu'elle ne peut oublier. Et ça lui a fait aussi réaliser qu'Arezki est à ses trousses, qu'il veut sa peau, parce qu'elle est un témoin gênant pour lui. Ce qui a pour résultat d'avoir briser sa carapace ; elle laisse couler le temps comme coule l'eau dans un ruisseau. Son visage, autrefois froid et sans expression, montre maintenant tout le chagrin qu'elle subit. Elle laisse paraître son désespoir, elle ne cache plus ce qu'elle ressent. Ca me fait mal de la voir comme ça, mais je me suis promis et je lui ai promis de l'aider. Je ne laisserai pas faire ce sale type. Je ne le laisserai pas la tuer ce soir. Oui, parce que c'est ce soir qu'il est censé attaquer. Qu'il est censé priver le corps de Tania de la vie. Plus le temps passe, plus la peur et l'inquiétude montent en moi. Ce qui est normal après tout, parce que s'il arrivait quelque chose à Tania, jamais je ne pourrai me le pardonner. Parce que j'aurai été incapable de la sauver, de la protéger. 
    Mes yeux verts quittent l'écran de l'ordinateur portable posé sur mes cuisses pour se poser sur la jeune femme, allongée sur le lit. Ses yeux bleus fixent le plafond sans vraiment le regarder, pensai-je. Je vois ses lèvres bouger. Sans doute qu'elle répète encore et encore que tout va se terminer ce soir. 

    -Ne t'inquiète pas Tania, lui dis-je soudain, il ne te fera aucun mal. Je ne le laisserai pas faire. 
    -Il a toujours ce qu'il veut. M'affirme-t-elle, pour la énième fois, ce qui me fait aussitôt soupirer. Il m'aura. Et tu ne pourras rien faire. Je le connais. Il m'aura. 

    Je préfère ne rien répondre, elle me répètera encore la même chose, comme elle le fait si bien depuis le début de l'après-midi. J'hausse les épaules et je me re-concentre à nouveau sur ce que j'étais entrain de faire. 
    Mais soudain, un bruit suspect me fait sursauter. Je ferme l'ordinateur et je le pose doucement sur le sol. Je me lève et je me dirige vers la porte. 

    -Ne bouge pas d'ici. Cache toi si nécessaire. Conseillai-je à Tania. 
    -Ok. Se contente-t-elle de répondre, sans bouger d'un millimètre. 

    Je sors de la chambre et je ferme soigneusement la porte derrière moi. Je descends prudemment les marches de l'escaliers, sur mes gardes. Je scrute chaque recoin des environs. Je sais où est mon arme de service mais je ne voudrais pas me faire surprendre avant de l'avoir récupérée. J'essaie de faire le moins de bruit possible, pour ne pas passer à côté d'un son qui pourrait m'indiquer où se trouve l'intrus. Parce que je suis sûr qu'il y a quelqu'un ici, en plus de Tania et moi. J'en suis persuadé. Mon instinct ne se trompe jamais sur ce sujet là. Pourtant, ce fameux instinct ne me dira pas que cette personne serait derrière moi, quand j'entrerai dans le salon. Ce fameux instinct ne me dira pas non plus qu'il m'assommera sans que je puisse me rendre compte de quoique ce soit. En fait, je me suis, pendant un moment, trouvé dans l'incapacité de faire le moindre geste. J'étais étalé de tout mon long sur le sol. Mes paupières étaient lourdes et menaçaient ne se fermer. J'eus juste le temps d'entendre un cri de terreur avant de perdre connaissance. 
    Je me réveille enfin. La première chose que je perçois est une forte douleur à l'arrière du crâne. Je me redresse difficilement, pour m'asseoir sur le sol dans un gémissement de douleur. Toujours en me massant la tête, je constate rapidement qu'il fait nuit. Ce qui veut dire que je suis resté pendant un moment inconscient. Soudain, je réalise. Je me dépêche de me lever. Evitant de trébucher, je monte à toute vitesse les escaliers en hurlant le nom de Tania dans tous les sens. Je déboule dans la chambre où elle était avant que quelqu'un ne m'assomme. 
    Malheureusement....

     Elle n'était plus là.

     

    *
    *   *

     
    Je commence à émerger. Ma vision est encore floue mais j'arrive à deviner que je suis sur la banquette arrière d'une voiture. Je vois un homme doté d'une tignasse blonde qui est au volant. Je remarque que mes mains sont liées derrière mon dos. Des images me reviennent en mémoire. Je revois Noah sortir de la chambre pour voir la cause d'un bruit bizarre. Moi, je ne faisais pas attention, trop occupée à me morfondre sur le lit. Mais j'ai ensuite entendu un autre bruit, comme quand quelqu'un tombe lourdement sur le sol et j'ai rapidement compris. J'ai essayé de trouver un endroit où me cacher mais il est entré. Lui, mon passé, mon enfer. Ma première réaction était de crier de toute mes forces. Il m'a donné un grand coup au niveau du visage, si bien que je suis tombée au sol, ma tête ne manquant pas de se cogner violemment contre le lit, m'assommant. 
    Et maintenant, je réalise qui est au volant. J'essaie de faire un geste, un quelconque geste, mais je gémis juste en bougeant légèrement ma tête. 

    -Tu reprends enfin conscience Tania Garyl. Dit-il. 

    Je frisonne de terreur. Je suis complètement à sa merci maintenant. Et il le sait parfaitement. Même si je ne peux voir son visage, je peux facilement deviner qu'il sourit satisfait. Cela doit bien faire un an qu'il me suit, qu'il me pourchasse pour m'avoir et pour me tuer. Il est dans son intérêt que je disparaisse. Je suis un témoin et il ne doit pas en laisser. Mais ce qu'il ne sait pas, c'est que j'ai tout raconté à Noah. Soudain, j'ai peur. Et s'il savait ? S'il le prévoyait de s'en prendre à lui par la suite ? Voilà qu'à cause de moi, un autre innocent allait perdre la vie. Par ma faute. De toute façon, qu'est-ce que ça peut me faire ? Je serai morte de toute façon. 
    J'essaie de reconnaître le paysage par la fenêtre de la voiture, mais la douleur est trop insupportable pour que je tienne la même position. Il m'est impossible de savoir où je suis. J'essaie désespérément de libérer mes mains, mais à croire qu'il a pensé à tout ce sale type. 

    -Arrête de te fatiguer pour rien Tania Garyl. Je savais bien que tu allais essayer de te détacher. J'ai donc bien pris mon temps pour te ligoter les mains. L'autre flic étant inconscient et toi aussi, j'avais donc tout mon temps devant moi. Je ne suis pas pressé pour te tuer tu sais. D'ailleurs, juste pour que tu aies un petit avant goût de ce qui t'attends, sache que je te réserve une mort lente et douloureuse. Comme je les aime. 

    Je déglutis. Voilà ce qui m'attend. Moi qui voulait une mort rapide et sans aucune douleur, je crois bien que je peux y renoncer. Il m'aura fait souffrir jusqu'au bout, jusqu'à mon dernier souffle. Je laisse tomber ma tête sur le siège et je ferme les yeux, en espérant que le temps passe plus vite ainsi. Mais, au contraire, tout est plus lent, plus insupportable. Une larme coule sur ma joue. Je réalise, que jamais je n'aurai été pleinement heureuse dans ma vie. Il a toujours été là, pour me pourrir l'existence dès qu'un soupçon de bonheur frappait à ma porte. Toujours. Et c'est lui qui va m'abattre ce soir, cette nuit. La voiture s'arrête. Il sort du véhicule et il ouvre la portière la plus proche de ma tête. J'essaie de m'asseoir mais je me retrouve rapidement sur le sol froid et humide. Il prend mon bras gauche et me force à me lever. Je grimace de douleur et je suis prise d'un vertige. Mais je n'ai pas le temps de me remettre de mes émotions qu'il me pousse pour que j'avance. Je regarde tout autour de moi et je sais que nous sommes toujours dans la même ville. Nous nous enfonçons dans une ruelle sombre, froide et humide. Les poubelles sont par terre, leur contenu étalé sur le sol. Plusieurs sacs remplient de détritus traînent partout. Quel lieu charmant pour mourir. Même pas le droit à une jolie prairie. Quel dommage. Sans que je m'en rendre vraiment compte, il m'ordonne de m'arrêter. Il a trouvé l'endroit idéal –selon lui- pour me tuer. Il me tourne pour que je lui fasse face. Il est exactement comme dans mon souvenir, avec des rides en plus. Sachant que mon heure est venue, je n'hésite pas de me moquer de lui. De toute façon, je souffre et je vais souffrir. Alors un peu plus, ou un moins, qu'est-ce que ça change ? 

    -Dis moi, tu n'es pas trop vieux pour ça ? lui dis-je, essayant d'adopter un sourire moqueur. 
    -L'âge ne compte pas, Tania Garyl. Ma volonté et mes envies suffisent à compenser. 

    Bizarrement, sa réponse ne m'étonne guère. Mais je ne trouve rien à redire. Un sourire malsain apparaît sur ses lèvres et il me frappe violemment au visage. Perdant l'équilibre, je tombe lourdement sur le sol. J'essaie, tant bien que mal, de ne pas montrer la douleur que ce coup m'a fait ressentir. Je ne veux pas lui donner ce plaisir. Il continue de me frapper, de toutes ses forces. Je me mords la lèvre inférieure pour ne pas crier, ni gémir. J'ai l'impression que des heures se sont écoulées, alors que ce ne sont que des malheureuses minutes. Je prie pour qu'il arrête, pour qu'il me laisse tranquille. Il me fait mal, je souffre, mais je ne peux pas me défendre. Et puis, les coups cessent à mon grand soulagement. Je le vois sortir un couteau et il s'agenouille près de moi. Son sourire ne me dit rien qui vaille. Il approche la lame de l'objet vers mon front et il fait une profonde entaille. Je ne peux pas m'empêcher de crier. Puis il plante son satané truc dans mon bras droit avec une violence sans nom puis il s'attaque à ma main gauche. Il ne m'avait pas menti tout à l'heure, quand il m'a dit que j'allais souffrir. Le pire, c'est qu'il ne me dit rien. Il prend juste plaisir à me faire subir cette souffrance. Il se lève à nouveau et recommence à me frapper. Je n'ai plus aucune notion du temps, j'attends juste que cela se passe. Mes cris retentissent dans la ruelle, sans que personne ne vienne à mon secours. Je ne sais pas quelle heure il est, mais les gens sont chez eux, bien au chaud. Et de toute façon, nous devons être bien trop loin des quartiers résidentiels pour que quelqu'un m'entende. Je vais donc mourir seule, et les rats se feront sans doute une joie de dévorer mon cadavre. Sympathique comme perspective.
    Mon visage en sang, mes membres endoloris, je le vois sortir une arme de sa poche. Ca y est, c'est la fin. Il va enfin mettre fin à mes souffrances. 

    -Une dernière volonté ? Me lance-t-il avec un ton moqueur. 
    -Va pourrir en enfer. Criai-je en crachant du sang. 
    -Si c'est tout ce que tu veux, je te dis adieu Tania Garyl. Te pourchasser et assister à ton enfer quotidien me manquera ... Ou pas. Mais ne t'inquiète pas, je penserai à toi quand je tuerai mes prochaines victimes. 

    Il tend son arme vers moi et je baisse la tête en essayant de penser à quelqu'un d'autre que lui. Je ne veux pas qu'il soit la dernière personne que j'ai vu avant de mourir. Je pense à ma mère, à mon père, à mon frère. D'un coup j'ai envie de les rejoindre. Mais le coup ne vient pas, il tarde. Soudain, j'entends des pas précipités, un bruit de chute et un cri de rage. J'ouvre les yeux et le spectacle me surprend. Il est là. Il est venu me sauver. Comment est-ce possible ? Comment a-t-il fait pour me retrouver ?
     

    *
     *    * 
     

    Je n'ai pas réfléchi. Dès que j'ai vu qu'il s'apprêtait à la tuer, j'ai foncé et je me suis jeté sur lui. Il a laissé échapper un cri de rage, frustré d'être dérangé. Puis, nous nous battons. Tout se passe très vite. J'arrive à le désarmer facilement. Son arme est à quelques mètres plus loin. Il ne peut pas aller la récupérer sans ne plus prêter attention à moi. Techniquement, j'ai l'avantage, ayant mon arme sur moi. Sauf que je me retrouve sur le dos, lui au-dessus de moi, ses deux mains exerçant une forte pression contre mon cou. J'essaie de sortir mon pistolet mais il l'enlève de ma poche et l'envoie à quelques mètres plus loin, comme je l'ai fait peu de temps avant. Malgré sa cinquantaine, il est fort, très fort et j'essaie en vain de me débattre. Mais il a, malheureusement, le dessus et je dois admettre que je suis en mauvaise posture. Je commence à manquer d'air. J'essaie tout de même de respirer, mais c'est très difficile. Je ne cesse de bouger, d'essayer de le faire tomber, mais je n'y arrive pas. 
    Alors, j'essaie de me remémorer comment j'ai pu me trouver ici. Dès que j'ai vu que Tania avait disparu, enlevé par ce fou, je me suis précipité à l'extérieur. J'ai remarqué que sa voiture n'était plus là. J'ai pris la mienne et j'ai démarré à toute vitesse. Je me doutais qu'il n'allait pas la tuer dans un lieu où quelqu'un pourrait les entendre. Alors je me suis dirigé vers la zone industrielle. J'ai arpenté chaque rue et ruelle, chaque coin et recoin. J'essayais de ne pas paniquer et de rester un minimum calme. Puis à un moment, j'ai entendu des cris atroces de douleurs. Je n'ai pas cherché à comprendre. Je suis sorti du véhicule et j'ai couru à l'intérieur de la ruelle. J'ai couru sans m'arrêter. Jusqu'à que je les vois, Tania au sol se tordant tellement elle souffrait et Arezki qui pointait son arme vers elle en lui demandant ses dernières volontés. Je me suis jeté sur lui, l'empêchant ainsi de tuer Tania. 
    Mais maintenant, c'est moi qui risque de mourir. Je n'arrive plus à respirer. L'air me manque. Il appuie encore plus fort sur mon cou. Je continue pourtant à me débattre. Mais ma vision commence à être floue. Mais je ne me laisse pas impressionné et je continue d'essayer de me défendre. Mais soudain, le bruit d'un coup de feu retentit dans la nuit silencieuse. Et tout se passe comme au ralenti. La pression sur mon cou est de plus en plus faible. Je suffoque, et je respire à nouveau. Arezki tombe doucement vers moi. Je pousse le corps inerte pour me libérer. Un simple coup d'œil vers lui permet de savoir qu'il est mort sur le coup. La balle lui a été fatale. Ce qui n'est pas plus mal d'ailleurs. Puis mon regard se dirige vers la seule personne debout. Personne que je reconnais facilement d'ailleurs. 
    Tania se tient devant moi, tenant fermement mon arme entre ses mains. Elle a l'air sous le choc, sans doute surprise par son propre geste. Elle a sans doute réussi à délier ses mains, à prendre le premier truc qui lui ai tombé sous la main -en l'occurrence, mon arme- et elle a tiré sur Arezki. Ce geste s'est sans doute fait machinalement, dans le but de me défendre, de me sauver. 
    Maintenant, elle ne bouge pas. Sans doute qu'elle ne réalise pas encore qu'il est mort, alors qu'elle est en vie. Je me lève et je m'approche doucement vers elle. Je lui enlève avec une grande lenteur l'arme des mains. Elle ne bronche pas. Elle se laisse faire. Je laisse tomber le pistolet sur le sol et elle tombe dans mes bras. Et ... elle pleure. La pression, la peur retombent. 
    Tout est fini.
    Elle vient de le réaliser.
    Tout est fini. 
    Il est mort, il ne fera plus de mal à personne. Et elle, elle est enfin libérée de son emprise. Enfin. 
    Elle va avoir besoin d'aide maintenant, je le sais. Elle va devoir se relever, tout recommencer à zéro. Ce sera dur, surtout après cette nuit. Mais elle va y arriver. Je vais l'aider. Je serai là pour elle. Je ne la laisserai pas tomber.

    Mais peut-être que pour elle, tout recommencer sera plus facile maintenant qu'Arezki est mort. Elle n'aura plus besoin de se déplacer de ville en ville pour fuir, pour l'éviter, pour survivre.

     En cette nuit sombre et riche en événements, une page se tourne et une autre commence, en étant complètement différente à la précédente.


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  • Le temps a passé depuis ce soir-là. La vie suit son cour et la population de cette ville (dont je n'arrive jamais à me souvenir du nom) est plus rassurée depuis la mort de l'assassin des deux femmes. Tant mieux pour eux. 
    Quant à moi, je ne suis pas partie d'ici. J'ai d'ailleurs décidé de vivre dans cette ville. Elle me plait bien après tout. Et puis, plus rien ne m'attend là où je vivais avant. 
    Après ce soir-là, Noah a réussi à me convaincre de consulter un psychologue. Il voulait m'aider, mais il savait qu'il n'y arriverait pas tout seul. Et je vis toujours chez lui et l'ambiance est bien meilleure par rapport à la première fois où j'ai mis les pieds dans cette maison. Je m'entends bien avec Noah, c'est un homme bien sympathique... du moins quand il se mêle de ce qu'il le regarde. Même s'il sait tout sur mon passé plus que douloureux, il pose encore des questions pour en savoir plus. Il y a des fois où j'y répond et des fois où je l'envoie balader en lui disant de s'occuper de ses affaires. Tout dépend de mon humeur. Et ça, il commence enfin à le comprendre. Ce n'est pas trop tôt d'ailleurs. 
    N'empêche, quand j'y repense, il m'a tout de même fallu quelques jours pour me remettre de cette soirée. Tuer un homme, ce n'est pas rien. Et ça a longtemps été le sujet des séances avec mon psy. 
    Mais ce geste, était en quelque sorte symbolique. Arezki représentait pour moi mon passé. Oui, il était mon passé. Pendant tout ce temps, la peur qu'il me tue faisait partie de moi. Aussi, il était la cause de mon chagrin, de ma douleur, de ma souffrance, de mon enfer. Lui tirer dessus, le tuer, c'est comme si je mettais un terme à mon passé. Comme si je tuais mon passé en fait. C'est comme si je déchirais les pages concernées et que je les jetais à la poubelle. Que je m'en débarrassais pour pouvoir tout recommencer à zéro. Et c'est ce que j'ai fait d'ailleurs. Petit à petit, j'avance et j'oublie. Petit à petit, j'avance et je me reconstruis. Je m'accorde une nouvelle chance d'être heureuse. Je ne peux pas passer mon temps à me morfondre. Je le sais et la mort d'Arezki a été l'élément déclencheur pour me le faire réaliser. Il aura au moins fait quelque chose de bien dans sa vie. Tant qu'il me pourchassais, je ne pouvais me permettre d'essayer de ressentir du bonheur. Alors je me laissais m'enfoncer dans un gouffre duquel je n'étais pas sûre de pouvoir ressortir un jour. Mais maintenant, il n'est plus là et Noah m'a beaucoup aidée à me relever. Il a été très présent et je lui serai éternellement reconnaissante pour son aide. Sans lui, je serai peut-être encore sur les routes à fuir mon passé. Ou bien, je serai morte. 
    Reste une énigme qui restera à jamais sans réponse. Pourquoi Arezki a-t-il attendu outes ces années pour me traquer sans relâche de ville en ville ? Pourquoi ne pas m'avoir tué lorsque je n'étais qu'une adolescente vulnérable ? Son côté sadique peut-être. Quoi qu'il en soit, il a emporté son secret dans la tombe. 

    Deux ans sont passés. Je vois toujours mon psy, bien que celui-ci pense que je n'aurai bientôt plus besoin de venir le voir. D'après lui, je vais mieux, beaucoup mieux même qu'il y a deux ans. Et je suis d'accord avec lui. J'ai trouvé un travail aussi. J'écris de petites histoires dans un journal pour enfants. Mon patron est plutôt satisfait de ce que je produis. Les ventes de son journal ont augmenté donc le fait qu'il soit content ne m'étonne guère. Je passe néanmoins beaucoup de temps sur ces mini-histoires et quand je rentre chez moi le soir, je ne veux plus voir tout ce qui ressemble de près ou de loin à un ordinateur. Je vis toujours chez Noah d'ailleurs. Je n'ai jamais eu le courage de trouver ma propre maison et cela ne le dérangeait pas du tout que je vive avec lui. Enfin, ça, c'était au début. Maintenant, ce n'est pas une question de courage mais d'envie. Au fil du temps, des sentiments sont nés et cela fait maintenant quelques mois que Noah et moi sommes ensembles. Pour le moment, ça se passe bien et je me sens vraiment bien avec lui. Je n'ai aucune idée si cela va durer ou non. J'espère que ça va marcher entre nous deux mais ça, seul le temps nous le dira. Heureuse ? Oui, je peux enfin employer ce mot pour décrire ce que je ressens. Ma nouvelle vie calme et sans histoire me convient parfaitement. 
    Une fois, avec Noah, nous avons pris des vacances et je l'ai emmené là où je vivais avant que tous mes proches ne meurent. J'en ai profité pour me rendre sur leurs tombes. Ils me manquent tellement. J'aimerai tellement qu'ils soient là, avec moi, pour constater que j'ai réussi à m'en sortir. Que j'ai réussi à reprendre goût à la vie. Que j'ai réussi à être heureuse à nouveau. Mais je pense que de là où ils sont, ils sont fiers de moi, des efforts que j'ai dû faire pour que cela soit possible. Je pense surtout à mon frère d'ailleurs. Je crois qu'il aurait bien aimé Noah. De toute façon, tant qu'il ne me fait pas souffrir, il l'aimerait bien. 
    Si je pouvais leur dire une dernière chose, je leur dirai que je les aime, et qu'ils me manquent terriblement. Même si maintenant j'ai une nouvelle vie, de nouveaux amis, eux sont les seuls personnes que j'aimerai revoir de mon passé. 
    En parlant de nouveaux amis, je m'entends très bien avec le collègue de Noah, Jeffrey, malgré son caractère assez spécial on va dire. J'apprécie aussi sa femme et ses enfants. Je n'ai eu aucun mal à m'intégrer auprès d'eux. Ils savent ce que j'ai enduré et ils sont très gentils avec moi.

     Mais toute cette histoire m'aura appris au moins une chose.

    C'est qu'il ne faut jamais perdre espoir. Il y a toujours quelqu'un qui est là, quelque part pour nous tendre une main bienveillante et nous aider à remonter la pente.

     

     

    -----------------------------------------------------------------------Estelle, Participation au Prix Clara 2009


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