• Ce Jour-Là

    Ce jour-là, à l'instant où j'ai ouvert les yeux sur une nouvelle journée, j'ai vu le ciel gris par l'unique fenêtre de mon petit studio. Je n'avais pas de volet, le propriétaire les ayant enlevés dans l'intention de les changer. Ça faisait deux mois qu'il était censé le faire. Je suis restée allongée sur mon canapé lit pendant plusieurs minutes, contemplant le temps morose qui devait en attristé plus d'un. Puis, je me suis décidée à me lever, pour ensuite préparer le petit déjeuner, m'habiller et aller en cours. Je ne mangeais presque rien le matin, je n'avais jamais faim. Il ne me fallait pas beaucoup de temps pour être prête à sortir, puisque je ne me prenais pas la tête à choisir mes vêtements, à me maquiller, à réfléchir à comment j'allais me coiffer. Je m'habillais toujours de la même façon, comme un sac. Des vêtements amples et ternes, pas de couleurs vives, pas de fanfreluches. Je ne voulais pas me faire remarquer, me fondre facilement dans la masse pour me faire simplement oublier. Je ne me maquillais pas, c'était trop superficiel à mon goût, et je donnais qu'un simple coup de brosse à mes cheveux pour ensuite les attacher rapidement en queue de cheval. Puis, j'ai pris mon sac et je suis sortie de chez moi, pour aller à pied à ma fac. Elle n'était pas très loin, seulement un quart d'heure de marche à peine. Et même si elle était plus éloignée, je ne prendrais sans doute pas un quelconque moyen de transport. Non pas que j'étais une fervente écologiste militant pour la protection de l'environnement, la nature étant le cadet de mes soucis, mais j'aimais marcher. Cela me permettait de penser à autre chose, de laisser mon esprit s'évader l'espace de quelques minutes avant de retourner dans les obligations de la vie. Je me fichais du temps, marcher était mon moyen pour ne pas devenir folle, pour affronter le quotidien sans sombrer. J'espérais que ce moment ne s'arrête jamais, et j'étais toujours un peu déçue lorsque j'arrivais à destination. C'était la fin de mon évasion. Je devais alors retourner à mon triste quotidien sans aucun intérêt que je subissais chaque jour. Je voyais les gens discuter joyeusement autour de moi. Ils étaient en groupe, ils se racontaient leur vie et semblaient se complaire dans leur existence. Ils avaient cette étincelle dans les yeux que je ne possédais pas. Je n'avais pas ce goût, cette foi en la vie. Aussi loin que je m'en souvienne, je ne l'ai jamais eu. Et je ne m'en portais pas plus mal. Je ne voulais pas courir après un hypothétique bonheur passant le reste du temps à souffrir ou à baigner dans les désillusions. Je préférais être un pantin qui laissait défiler les jours sans rien faire d'exceptionnel pour pimenter sa vie et qui se faisait oublier. De toute façon, qui pourrait bien s'intéresser à ma personne.

     

    Ce jour-là, je pensais que la journée serait ordinaire. Je suis sortie de chez moi à la même heure que d'habitude, pour aller à la fac. J'ai emprunté le même chemin, sans faire de détour particulier. Il faisait gris. Il faisait froid. J'avançais dans la rue, les mains profondément enfoncées dans les poches de mon manteau, regardant mes pieds. Mais, contrairement à d'habitude, j'ai perçu un bruit qui m'a sorti de mes pensées. Je me suis arrêtée en relevant doucement la tête. Je n'ai plus rien entendu et j'ai cru l'espace d'un instant que j'avais rêvé. Mais un autre son se fit entendre. Un cri étouffé. Une poubelle qui tombe sur le sol. J'ai hésité. Je ne savais pas quoi faire. Mon instinct me disait que quelqu'un avait des problèmes et que je devais l'aider. Cependant, mon désir de ne pas me faire remarquer me murmurait de continuer mon chemin, que ce qui était entrain de se passer dans cette ruelle ne me regardait pas. Deux parts de moi-même ont lutté. Je n'avais pas goût à la vie, ce n'est pas pour autant que je pouvais accepter qu'une autre soit gâchée. J'ai regardé ma montre. J'allais être en retard, dans tous les cas, alors autant que ce soit pour une bonne raison. Je me suis précipitée dans la ruelle, suivant les bruits qui parvenaient à mes oreilles. Deux types frappaient un troisième qui était sans défense. Les deux abrutis l'entouraient, il n'avait aucun moyen de leur échapper. Cela me révoltait, et pourtant, je me sentais terriblement impuissante. Je restais là, à assister à la scène, sans rien faire à part chercher comment je pouvais l'aider alors que ses agresseurs avaient facilement trois têtes de plus que moi. Il est tombé au sol, ne pouvant plus soutenir les nombreux coups. Alors, sans plus réfléchir davantage, j'ai hurlé. Je ne voulais plus assister à cet injuste spectacle qui devenait insupportable. Je ne voulais plus voir cet homme souffrir. Les deux baraqués ont sursauté, jetant un bref coup d'oeil dans ma direction avant de partir en courant. Ils craignaient sans doute que j'ais attiré l'attention de quelqu'un d'autre, car ce n'est pas avec ma petite taille que j'ai dû leur faire peur. Le silence s'est installé. Il n'y avait plus un bruit. Je regardais l'homme recroquevillé sur le sol, tremblant sans doute de froid et de peur. Il n'a pas levé la tête vers moi une seule seconde. Je me suis approchée de lui, doucement. Je ne voulais pas qu'il ait peur de moi. Je voulais simplement l'aider. Je me suis agenouillée sur le sol, à côté de lui qui ne m'a pas remarqué. Je ne savais pas quoi faire. J'ignorais ce qu'il fallait faire. Ce n'était pas dans mes habitudes. Je me suis penchée sur le côté, pour tenter de voir son visage, caché par ses cheveux bruns emmêlés.

    -Vous... Vous n'avez rien de casser ? Demandai-je bêtement, ne sachant pas quoi dire d'autre.

    Il ne m'a rien répondu. Un temps de silence s'est installé avant qu'il ne leva la tête vers moi. Il n'était pas beau à voir. Il peinait à respirer. Bien que cette position devait lui être inconfortable, il ne bougeait pas. Il se contentait de me regarder fixement, ce qui me mettait mal à l'aise. Je ne comprenais pas pourquoi il me fixait ainsi. Je n'avais rien d'extraordinaire. J'étais simplement une fille banale sans caractéristique particulière. Et pourtant, il ne me lâchait pas des yeux.

    -Merci. Souffla-t-il au bout de quelques minutes avant de subitement perdre connaissance, sa tête tombant contre mes genoux.

    Je me suis figée, scrutant les environs. J'étais perdue. En l'espace de quelques minutes, mes habitudes ont été chamboulées et je me suis retrouvée avec le corps d'un homme inconscient dans mes bras. J'ai respiré un grand coup afin de conserver mon calme. J'ai sorti mon téléphone de mon sac, et j'ai simplement appelé les secours. J'ai dis la vérité lorsqu'on m'a demandé ce qui s'était passé, et j'ai du répéter mon histoire à la police. Au final, je ne suis pas allée en cours. Cela m'embêtait. Je n'avais personne à qui demander le cours pour rattraper. J'allais être obligée de faire des efforts le lendemain. Lorsque je suis rentrée chez moi, je me suis laissée tomber sur mon canapé lit, épuisée. J'ai fermé les yeux, et je me suis endormie.

     

    Ce jour-là, il ne faisait pas spécialement beau. La journée a commencé comme d'habitude. Je me suis levée. Je me suis préparée. Je suis partie à la fac en marchant tranquillement. Là-bas, j'ai réussi à trouver quelqu'un qui m'a prêté ses cours. Je les ai photocopié à la fin de la journée, et je suis sortie. J'ai marché tranquillement pour rentrer chez moi. Et je suis passée devant la ruelle. Un homme se tenait sur le coin de mur. Il avait les mains dans les poches, il observait les environs comme s'il attendait quelqu'un. Je ne lui ai pas accordé davantage d'attention. J'ai continué mon chemin, passant devant lui en l'ignorant comme tout passant.

    -Mademoiselle ! Mademoiselle ! S'écria-t-il soudainement dans mon dos.

    Je n'ai pas réagi. J'ai tout d'abord pensé qu'il appelait quelqu'un d'autre. Personne ne m'appelait jamais. Alors, je continuais de marcher, comme d'habitude. Puis, quelqu'un m'a attrapé à l'épaule et je me suis arrêtée. C'était à ce moment là que j'ai compris que c'était à moi qu'il parlait. Je me suis tournée vers lui, le regardant avec curiosité pour comprendre pourquoi. Et je l'ai reconnu. C'était l'homme que j'ai sauvé.

    -Vous êtes bien la personne qui est venue m'aider l'autre jour ? Il me semble vous reconnaître. Me dit-il d'un ton calme et plein d'espoir.

    J'ai répondu d'un simple hochement de tête, ne sachant pas quoi lui dire d'autre. Je ne comprenais pas ce qu'il me voulait. J'ai rapidement compris qu'il m'a attendu ici dans l'espoir de me croiser. Ce n'était pas difficile. Mais je n'en voyais pas la raison. Certes, je l'ai aidé, mais il pouvait reprendre sa vie là où elle en était à présent. Il était inutile de me chercher, de bouleverser ses habitudes pour moi. Il m'offrit un beau sourire, qui se transforma aussitôt en une grimace de douleur.

    -Je tenais à vous remercier. Sans vous, qui sait ce qu'ils auraient pu me faire d'autre. Ajouta-t-il sur un ton qui montrait parfaitement sa reconnaissance.

    -Il n'y a pas de quoi. C'est normal. Me contentai-je de répondre dans un haussement d'épaules pour ensuite faire demi-tour dans l'intention de continuer mon chemin en le laissant derrière moi. Il n'était qu'un individu parmi tant d'autre, et maintenant, il faisait partie du passé. Il m'appela une nouvelle fois, me priant d'attendre, de ne pas partir toute suite. Je ne comprenais pas pourquoi il tenait tant à rester avec moi. Cela n'allait pas. Je voulais rentrer chez moi, comme d'habitude. Cependant, je me suis quand même retournée, pour pouvoir comprendre son intérêt envers moi.

    -Puis-je vous inviter à prendre un café ? Me proposa-t-il avec un air suppliant.

    -Pourquoi ? Lui dis-je sur la défensive.

    Je n'étais pas à l'aise avec les gens. Les gens, c'étaient des étrangers pour moi. Je ne les connaissais pas. Je ne savais pas ce qu'ils pensaient, ni leurs intentions. Et cela me faisait peur. Je n'avais aucun contrôle sur les autres qui, à chaque instant, pouvait me faire du mal.

    -Je vous l'ai dit, je tiens à vous remercier. Et un simple merci me semble insuffisant pour tout ce que vous avez fait pour moi. Me répondit-il sans se laisser perturber par mon attitude et ma méfiance à son égard.

    -Je ne vais pas avec les étrangers. Marmonnai-je en soupirant, priant le ciel pour que je sois de nouveau tranquille, loin de cet homme.

    -Je m'appelle Jeff. Jeff Benson. Se présenta-t-il alors, à ma plus grande surprise. Je ne suis donc plus un étranger.

    Je ne savais pas quoi répondre. Je ne m'étais pas attendue à une telle réplique de sa part. J'étais maintenant capable de mettre un nom à son visage qui a gardé les traces de son agression. Un visage qui affichait un air plein d'espoir, une moue suppliante, comme s'il me disait en silence d'accepter son invitation, de le suivre afin qu'il puisse me remercier à sa guise, s'acquitter de la dette qu'il avait envers moi. J'étais persuadée que la raison d'une telle envie venait de là. Il se sentait redevable. Je l'avais sauvé, il voulait se débarrasser de ce poids. Cela me semblait logique, et cela me vexait. Je ne voulais pas qu'il se serve de moi comme d'un moyen de se soulager, de vivre sa vie sans aucun remord.

    -Enchantée. Marmonnai-je tout de même au bout d'un instant de réflexion. Mais ce café est inutile. Un simple merci suffit. Vous n'avez aucune dette envers moi. Au revoir, et bonne journée. Concluai-je tout en reprenant ma route.

    J'espérais qu'il allait se décider à me laisser tranquille, qu'il allait reprendre sa vie en m'oubliant tranquillement, tandis que moi, je continuais mon bout de chemin sans grand intérêt. Je l'espérais. Mais ce ne fut pas le cas, puisqu'il insista. Je tentais de l'ignorer, mais il était bien décidé à me suivre tout en me suppliant d'accepter de prendre un café avec lui. Je ne comprenais pas pourquoi il agissait ainsi. Cela me paraissait totalement absurde. Il ne me connaissait pas, je n'étais strictement rien pour lui, et pourtant, cela lui tenait à coeur. Cela s'entendait dans sa voix, si bien qu'il a fini par me faire de la peine. J'ai fini par accepter, à la longue, tout en exigeant en retour une explication. Je l'ai donc suivi en trainant des pieds derrière lui. J'essayais de calmer ma frustration de ne pas retrouver mon studio dans l'immédiat en me disant que ce serait l'affaire d'une petite heure, au maximum. Je ne voulais pas rester trop longtemps avec cet étranger qui me perturbait plus qu'autre chose. Lorsque nous arrivâmes à un petit café plutôt tranquille en cette fin d'après-midi, nous nous installâmes en terrasse. J'ai simplement commandé un coca. Je ne voulais pas plus. J'étais nerveuse, scrutant les autres clients avec inquiétude. Je n'étais pas dans mon élément, et cela me mettait mal à l'aise. Je mis mes mains entre mes jambes serrées qui tremblaient légèrement. J'avais hâte qu'il dise quelque chose, histoire d'en finir. Je voulais rentrer chez moi.

    -Je vous ai dit comment je m'appelle, mais je ne connais même pas votre nom. Remarqua-t-il à voix haute, comme une demande déguisée. Je lui jetai un regard méfiant, me demandant s'il fallait que je lui dévoile mon identité. Je ne connaissais que son nom, et cela ne suffisait pas pour que je lui fasse confiance. Or lui donner mon nom serait pour lui d'en savoir plus sur moi, alors que moins il en saurait, mieux cela serait.

    -Mélody. Soufflai-je finalement, résignée. Je sentais que si je ne lui disais pas au moins mon prénom, il allait insister, comme tout à l'heure. Et je n'en avais pas envie. Pas du tout.

    -C'est très joli. Me dit-il avec un sourire, pensant sans doute que j'allais me détendre ainsi.

    J'ai haussé simplement les épaules, me fichant de son opinion. Comme tout le monde, je n'ai pas choisi mon prénom, et je ne voyais pas en quoi il pouvait être sujet à compliment. C'était ma mère qu'il devait féliciter pour ce choix, non pas à moi. Un serveur vint apporter notre commande, et Jeff paya pour nous deux. Je ne protestais pas, le laissant faire. Après tout, il m'avait dit dès le début qu'il voulait m'inviter. Pendant ce temps là, j'ai remarqué un groupe de filles, assises à une table voisine de la notre. Elles observaient avec attention celui que je considérais comme un parfait étranger. Elles le regardaient avec envie, en souriant, riant, jacassant comme des adolescentes. Je trouvais cela pathétique, d'autant plus que je ne comprenais pas pourquoi elles agissaient ainsi. Alors, j'ai scruté à mon tour mon voisin de table. Il était jeune, il devait avoir mon âge. Il avait des cheveux bruns en bataille, comme s'il prenait pas vraiment la peine de les coiffer un minimum. Il avait aussi les yeux marrons, un beau visage ainsi qu'une barbe de trois jours. Sans parler de ses quelques blessures. Il était bien habillé aussi, mais je n'y ai pas prêté davantage attention. Il était certes, un homme séduisant, «orgasmique» comme le qualifiaient les filles de l'autre table dont je parvenais à entendre des bouts de leur conversation. Un terme que je trouvais encore plus ridicule que leur attitude. Puis, soudainement, l'un d'elles se pencha vers ses amies et murmura quelque chose. Aussitôt après, elles se mirent toutes à me regarder avec dédain sans que je sache pourquoi.

    -Elles doivent penser que vous êtes ma copine. S'en amusa alors Jeff, qui a remarqué mon intérêt soudain pour ce groupe de jeunes filles.

    Je lui jetai un regard intrigué, avant de boire mon verre d'une traite. Je ne voyais pas pourquoi ces filles pensaient que lui et moi formions un quelconque couple. Nous étions seulement assis à une table sans même parler. Nous n'agissions pas comme deux niais amoureux, se tenant la main, se dévorant des yeux tout en se donnant des petits surnoms complètement idiots. Ceux qui jugeaient sans savoir m'agaçaient du haut point. Ils devraient se mêler de leur vie, ces gens là.

    -En fait, si je tenais tant à vous invitez, ce n'est pas seulement pour vous remercier. M'avoua-t-il subitement la tête basse.

    Je ne lui ai pas répondu. J'attendais simplement la suite de son explication, la seule chose pour laquelle j'étais ici, avec lui, avec ce type que je ne connaissais pas et que je n'avais pas envie de connaître. Je donnerais volontiers ma place à l'une des ces filles si c'était possible.

    -En réalité, je... J'ai votre visage en tête depuis que vous m'avez sauvé. Depuis que je vous ai vu, quelque chose m'intrigue. Ajouta-t-il après une minute de silence où il semblait chercher ses mots. Quelque chose semblait étrange dans votre regard, et même votre attitude m'intrigue. Je ne saurai pas en quoi, mais vous êtes quelqu'un de terriblement intrigante Mélody.

    Je ne dis rien. Je ne voulais pas répondre. Son explication ne me convenait pas, car elle montrait qu'il s'intéressait beaucoup trop à moi. Et je ne le souhaitais pas. Ma vie était parfaite comme elle était, et je ne voulais pas la voir changée. Alors, je me suis levée de table, et je suis simplement partie. Lorsque je l'ai entendu crier mon nom, j'ai couru. Sans regarder en arrière, je n'ai cessé de courir. Mes pensées se chamboulaient dans ma tête et lorsque j'ai enfin mis un pied dans mon studio, je me suis laissée tomber au sol. Je regardais le plafond sans rien faire, allongée par terre. Je laissais le temps défilé, m'en voulant un peu de m'être ainsi enfuie comme une voleuse. Mais je n'avais pas le choix. Il fallait que je parte. Je me roulais en boule comme une petite chose fragile et perdue. Je tremblais comme une feuille, ayant l'étrange impression que ce Jeff allait de nouveau croiser ma route.

     

    Ce jour-là, je redoutais le chemin du retour. Ma journée de cours était terminée, et pourtant, je trainais le plus longtemps possible au CDI de ma fac. Pour une fois, je n'avais pas envie de rentrer chez moi. J'avais peur de le croiser sur le chemin, de l'entendre insister pour que je réponde à ses questions. J'ai alors supposé que si je rentrais tard, peut-être qu'il serait déjà parti pour rentrer chez lui, las de m'attendre. Il faisait nuit lorsque j'ai dû quitter les lieux. Je n'avais plus d'autre choix que de prendre le chemin de mon studio. Il faisait froid, très froid. Je marchais vite pour me réchauffer, mais aussi pour rentrer le plus vite possible chez moi. Je n'aimais pas être dans les rues quand il faisait aussi sombre. Cela me faisait peur. Je marchais vite pour retrouver les murs rassurants de mon studio, et lorsque je suis passée devant la ruelle, je ne l'ai pas vu. J'ai soupiré de soulagement, mais je continuais d'avancer à la même allure. J'étais contente de ne pas avoir croisé son chemin, mais j'avais vite déchanté lorsque je l'ai vu attendre à la porte de chez moi, assis à même le sol. Il s'est immédiatement levé quand je me suis approchée avec méfiance, prête à m'enfuir en cas de problème.

    -Je suis désolé. Me bredouilla-t-il aussitôt, ayant sans aucun doute remarqué la crainte qu'il m'inspirait. Mais je n'ai pas pu m'empêcher de vous suivre, hier. Mais rassurez-vous, je vous promets que je ne vous veux aucun mal.

    -Pourquoi ? Lui demandai-je alors, la voix tremblante trahissant ainsi la peur que j'éprouvais en cet instant. Ce type savait où je vivais, connaissait l'endroit où je me sentais le plus en sécurité. Ce type que je ne connaissais pas, n'arrêtait pas de me poursuivre sans que je sache la raison. -Pourquoi venir me voir sans cesse ? Pourquoi ne pas me laisser tranquille ?

    -Suivez moi, et je vous promets que je vais tout vous expliquer.

    J'hésitais pendant un moment. Cet homme passait son temps à vouloir me parler, passer du temps avec moi alors que les autres préfèrent m'éviter. Il revenait perturber ma route avec obstination, comme si une force extérieure l'obligeait à le faire. Cela se voyait dans son regard que c'était important pour lui. Quant à moi, j'étais dans un épais brouillard, m'interrogeant sur ses motivations. J'étais devenue invisible aux yeux du monde, et lui seul semblait réussir à me voir, et s'accrochait désespérément à cette vision. J'étais une pauvre fille tout ce qu'il y a de plus banale, n'ayant rien de particulier qui pourrait attirer une quelconque attention, et pourtant, quelque chose l'a poussé à venir ici, devant chez moi. J'ignorais si c'était une bonne idée, mais je l'ai suivi. Nous sommes sortis dans la rue, et nous marchions dans la rue sans émettre le moindre son. Je sursautais au moindre bruit et Jeff me rassurait aussitôt sans même s'intriguer de mon attitude. Nous continuions notre chemin sans plus nous préoccuper de quoique ce soit, nous tenant à une distance raisonnable de l'autre, les mains profondément enfoncées dans les poches. Nous arrivâmes dans un parc après une bonne demie heure de marche. Il m'invita ensuite à m'asseoir à côté de lui sur un banc, juste en face d'une fontaine. Mon regard se perdait dans l'eau qui coulait, hypnotisée par l'éclat de la lune qui se reflétait dans l'eau. Jeff ne disait rien, mais je ne prêtais plus attention à lui, perdue dans mes songes.

    -C'est pour cela que vous m'intriguer. Me souffla-t-il au bout de quelques minutes.

    Je tournai alors la tête vers lui, ne comprenant pas où il voulait en venir.

    -Je l'ai remarqué ce soir là. Lorsque vous m'avez parlé, j'ai levé la tête, et que j'ai croisé votre regard. Un regard complètement vide. Vide de toutes émotions. Vide de vie. Votre regard, il n'exprimerait rien. C'était étrange, et je voulais comprendre.

    -Il n'y a rien à comprendre. Murmurai-je en réponse, tout en posant de nouveau mon regard sur la fontaine, me sentant soudainement, et étrangement, en confiance. Je ne crois en rien. Pour moi, la vie n'est qu'une absurde comédie totalement fade. Je n'attends rien de l'existence. Je me contente de vivre en attendant la fin. Je sais que je vais sans doute attendre longtemps, mais j'attends. Je ne crois pas en la vie. Je ne crois pas en l'espoir. Je ne crois pas aux sentiments. Pour moi, ce ne sont que des choses stupides qui donnent l'illusion que la vie mérite d'être vécue.

    Il n'a rien répondu. Il semblait réfléchir tandis que moi, je continuais ma contemplation de la fontaine. Puis, je l'ai senti se rapprocher de moi mais je n'ai pas réagi. Je me fichais de ce qu'il faisait. J'étais comme perdue dans un autre monde.

    -Alors, je n'ai qu'une nuit pour vous prouver le contraire. Me susurra-t-il au creux de l'oreille.

    Je me suis alors tournée vers lui en lui jetant un regard plein d'incompréhension. Je ne voyais pas où il voulait en venir, et je le trouvais de plus en plus étrange. Cependant, je n'avais pas envie de fuir. Je voulais savoir ce qu'il allait se passer. Il m'offrit alors un sourire pour ensuite me prendre la main pour me forcer à le suivre une nouvelle fois. Il me demanda de fermer les yeux, ce que j'ai fait. Il m'emmenait quelque part, sans que je sache où. Il se mit à courir tout en me tenant fermement la main. Je n'avais pas d'autre choix que de suivre la cadence. Je sentais le vent me fouetter le visage sans que cela soit désagréable. Nous devions avoir l'air de deux idiots, à avancer ainsi. Et moi, j'étais idiote de le suivre ainsi aveuglément. Je ne connaissais que son nom, et pourtant, j'avais l'impression que je pourrai le suivre au bout du monde. Mais soudainement, il s'arrêta de courir pour ensuite m'autoriser à ouvrir les yeux. Je découvrais alors un monde incroyable. La mer s'étendait à perte de vue, les étoiles et la lune se reflétant merveilleusement dedans. Il ne faisait pas froid, il faisait plutôt doux. Quelques fleurs parsemaient sur le sol, entre les brins d'herbes. C'était tout simplement magnifique. J'avais l'impression d'être dans un lieu extraordinaire coupé du reste du monde où l'air avait l'odeur de la liberté, de la tranquillité, du bonheur à l'état pur. Un lieu incroyablement romantique, je ne pouvais que l'admettre.

    -Où sommes-nous ? Lui demandai-je dans un souffle, émerveillée par la splendeur de cet endroit.

    -Dans un monde à part. Me répondit-il dans un murmure.

    Je l'ai alors regardé, et j'étais surprise de constater que ses blessures avaient disparu, comme si elles n'avaient jamais existé. Je ne pouvais m'empêcher de tendre la main vers son visage pour toucher du bout des doigts sa peau lisse qui n'avait aucune imperfection. Sous le clair de lune, il était divinement beau. Il me laissait faire sans rien dire, plongeant son regard dans le mien, voulant presque voir mon esprit, me comprendre au travers de mes yeux. C'était étrange. C'était comme si le temps s'était arrêté.

    -Mélody, croyez-vous au moins à l'amour ?

    -Non. L'amour n'est qu'un sentiment passionné entre deux personnes. Un sentiment qui n'est possible que grâce à des hormones. L'amour n'est qu'une sécrétion d'hormones. Ce n'est rien d'autre... Qu'une sécrétion d'hormones. Soufflai-je, l'esprit ailleurs.

    -Tu as une vision très scientifique de ce sentiment.

    -Je ne connais que cette vision, car le sentiment en lui-même, m'est parfaitement inconnu. Lui avouai-je sans savoir pourquoi je me confiais ainsi. Je ne suis qu'un résidu de la vie. Je n'aurais jamais du naitre. Je suis le résultat d'un oubli. Ma mère s'est rendue compte trop tard qu'elle était enceinte. Mon père s'est barré dès qu'il l'a su. Mes grands-parents ont mis ma mère à la porte. Enfin, ma mère m'a toujours détesté pour avoir détruit sa vie. Je n'ai connu que la haine et la souffrance. Comment croire en la vie si on ne connait rien d'autre ?

    Il ne me répondit pas, et j'ai alors pensé qu'il se résignait. Mais j'avais tort, puisqu'en fait, il comprenait pourquoi mon regard était si vide, si éteint. Et j'ai vite compris qu'il voulait simplement y faire naitre cette étincelle que tout le monde possédait, sauf moi. Il me prit une nouvelle fois la main, tout en me regardant dans les yeux. Il la lâcha, prenant ensuite mon visage entre ses mains. Je me sentais bizarre. Ma respiration était plus lente. Mon coeur semblait battre plus vite. Quelque chose se tordait dans mon ventre. C'était étrange, et pourtant, je ne m'étais jamais sentie aussi bien de toute ma vie. Doucement, il se pencha vers moi pour s'emparer de mes lèvres avec tendresse. A cet instant, plus rien ne semblait compter. J'oubliais tout mon environnement, ma vie, mon passé, ne pensant qu'à lui. Qu'à Jeff. Qu'au doux contact de ses lèvres contre les miennes. Un contact que l'on nommait baiser et qui me donnait l'impression d'être sur un nuage tellement que je me sentais légère. Pour la première fois de ma vie, je me sentais vivante.

     

    Aujourd'hui, ce sont les rayons du soleil qui m'ont réveillé. En voyant le ciel bleu, je ne peux m'empêcher de sourire. Je reste quelques minutes allongée dans mon lit, totalement détendue, admirant l'extérieur et profitant des chants des oiseaux. C'est le printemps. Je me lève, me prépare, puis je sors pour aller en cours. Il fait bon dehors, ni trop chaud, ni trop froid. Je souris toute seule comme une idiote, tout en regardant le ciel. Une belle journée qui s'annonce. Mes pensées vagabondent, je me perds dans mes songes. Je me sens bien. Je ne dirai pas que je nage dans le bonheur, mais en tout cas, je ne suis pas malheureuse. Soudainement, sans m'y attendre, je percute quelqu'un. Je m'excuse aussitôt, honteuse de ne pas avoir fait attention. Il me sourit, en me disant que ce n'est rien. Il me dit vaguement quelque chose, comme si je l'avais déjà vu.

    -Excusez-moi, mais... On se connait ? Demandai-je, intriguée par ce visage qui m'est étrangement familier.

    -Je ne crois pas, non.

    -J'ai du confondre alors.

    -Je m'appelle Jeffrey Benson, et vous ? Se présente-t-il alors, tout en conservant son sourire.

     

    Comme une mélodie,

    Deux âmes suivant le même chemin,

    Avancent pas à pas, main dans la main,

    Pour pouvoir ainsi, se sentir enfin en vie... 

     

     

    ------------------------------------------------------------------------------------Estelle, Mai 2012

     


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