• Ce jour-là, à l'instant où j'ai ouvert les yeux sur une nouvelle journée, j'ai vu le ciel gris par l'unique fenêtre de mon petit studio. Je n'avais pas de volet, le propriétaire les ayant enlevés dans l'intention de les changer. Ça faisait deux mois qu'il était censé le faire. Je suis restée allongée sur mon canapé lit pendant plusieurs minutes, contemplant le temps morose qui devait en attristé plus d'un. Puis, je me suis décidée à me lever, pour ensuite préparer le petit déjeuner, m'habiller et aller en cours. Je ne mangeais presque rien le matin, je n'avais jamais faim. Il ne me fallait pas beaucoup de temps pour être prête à sortir, puisque je ne me prenais pas la tête à choisir mes vêtements, à me maquiller, à réfléchir à comment j'allais me coiffer. Je m'habillais toujours de la même façon, comme un sac. Des vêtements amples et ternes, pas de couleurs vives, pas de fanfreluches. Je ne voulais pas me faire remarquer, me fondre facilement dans la masse pour me faire simplement oublier. Je ne me maquillais pas, c'était trop superficiel à mon goût, et je donnais qu'un simple coup de brosse à mes cheveux pour ensuite les attacher rapidement en queue de cheval. Puis, j'ai pris mon sac et je suis sortie de chez moi, pour aller à pied à ma fac. Elle n'était pas très loin, seulement un quart d'heure de marche à peine. Et même si elle était plus éloignée, je ne prendrais sans doute pas un quelconque moyen de transport. Non pas que j'étais une fervente écologiste militant pour la protection de l'environnement, la nature étant le cadet de mes soucis, mais j'aimais marcher. Cela me permettait de penser à autre chose, de laisser mon esprit s'évader l'espace de quelques minutes avant de retourner dans les obligations de la vie. Je me fichais du temps, marcher était mon moyen pour ne pas devenir folle, pour affronter le quotidien sans sombrer. J'espérais que ce moment ne s'arrête jamais, et j'étais toujours un peu déçue lorsque j'arrivais à destination. C'était la fin de mon évasion. Je devais alors retourner à mon triste quotidien sans aucun intérêt que je subissais chaque jour. Je voyais les gens discuter joyeusement autour de moi. Ils étaient en groupe, ils se racontaient leur vie et semblaient se complaire dans leur existence. Ils avaient cette étincelle dans les yeux que je ne possédais pas. Je n'avais pas ce goût, cette foi en la vie. Aussi loin que je m'en souvienne, je ne l'ai jamais eu. Et je ne m'en portais pas plus mal. Je ne voulais pas courir après un hypothétique bonheur passant le reste du temps à souffrir ou à baigner dans les désillusions. Je préférais être un pantin qui laissait défiler les jours sans rien faire d'exceptionnel pour pimenter sa vie et qui se faisait oublier. De toute façon, qui pourrait bien s'intéresser à ma personne.

     

    Ce jour-là, je pensais que la journée serait ordinaire. Je suis sortie de chez moi à la même heure que d'habitude, pour aller à la fac. J'ai emprunté le même chemin, sans faire de détour particulier. Il faisait gris. Il faisait froid. J'avançais dans la rue, les mains profondément enfoncées dans les poches de mon manteau, regardant mes pieds. Mais, contrairement à d'habitude, j'ai perçu un bruit qui m'a sorti de mes pensées. Je me suis arrêtée en relevant doucement la tête. Je n'ai plus rien entendu et j'ai cru l'espace d'un instant que j'avais rêvé. Mais un autre son se fit entendre. Un cri étouffé. Une poubelle qui tombe sur le sol. J'ai hésité. Je ne savais pas quoi faire. Mon instinct me disait que quelqu'un avait des problèmes et que je devais l'aider. Cependant, mon désir de ne pas me faire remarquer me murmurait de continuer mon chemin, que ce qui était entrain de se passer dans cette ruelle ne me regardait pas. Deux parts de moi-même ont lutté. Je n'avais pas goût à la vie, ce n'est pas pour autant que je pouvais accepter qu'une autre soit gâchée. J'ai regardé ma montre. J'allais être en retard, dans tous les cas, alors autant que ce soit pour une bonne raison. Je me suis précipitée dans la ruelle, suivant les bruits qui parvenaient à mes oreilles. Deux types frappaient un troisième qui était sans défense. Les deux abrutis l'entouraient, il n'avait aucun moyen de leur échapper. Cela me révoltait, et pourtant, je me sentais terriblement impuissante. Je restais là, à assister à la scène, sans rien faire à part chercher comment je pouvais l'aider alors que ses agresseurs avaient facilement trois têtes de plus que moi. Il est tombé au sol, ne pouvant plus soutenir les nombreux coups. Alors, sans plus réfléchir davantage, j'ai hurlé. Je ne voulais plus assister à cet injuste spectacle qui devenait insupportable. Je ne voulais plus voir cet homme souffrir. Les deux baraqués ont sursauté, jetant un bref coup d'oeil dans ma direction avant de partir en courant. Ils craignaient sans doute que j'ais attiré l'attention de quelqu'un d'autre, car ce n'est pas avec ma petite taille que j'ai dû leur faire peur. Le silence s'est installé. Il n'y avait plus un bruit. Je regardais l'homme recroquevillé sur le sol, tremblant sans doute de froid et de peur. Il n'a pas levé la tête vers moi une seule seconde. Je me suis approchée de lui, doucement. Je ne voulais pas qu'il ait peur de moi. Je voulais simplement l'aider. Je me suis agenouillée sur le sol, à côté de lui qui ne m'a pas remarqué. Je ne savais pas quoi faire. J'ignorais ce qu'il fallait faire. Ce n'était pas dans mes habitudes. Je me suis penchée sur le côté, pour tenter de voir son visage, caché par ses cheveux bruns emmêlés.

    -Vous... Vous n'avez rien de casser ? Demandai-je bêtement, ne sachant pas quoi dire d'autre.

    Il ne m'a rien répondu. Un temps de silence s'est installé avant qu'il ne leva la tête vers moi. Il n'était pas beau à voir. Il peinait à respirer. Bien que cette position devait lui être inconfortable, il ne bougeait pas. Il se contentait de me regarder fixement, ce qui me mettait mal à l'aise. Je ne comprenais pas pourquoi il me fixait ainsi. Je n'avais rien d'extraordinaire. J'étais simplement une fille banale sans caractéristique particulière. Et pourtant, il ne me lâchait pas des yeux.

    -Merci. Souffla-t-il au bout de quelques minutes avant de subitement perdre connaissance, sa tête tombant contre mes genoux.

    Je me suis figée, scrutant les environs. J'étais perdue. En l'espace de quelques minutes, mes habitudes ont été chamboulées et je me suis retrouvée avec le corps d'un homme inconscient dans mes bras. J'ai respiré un grand coup afin de conserver mon calme. J'ai sorti mon téléphone de mon sac, et j'ai simplement appelé les secours. J'ai dis la vérité lorsqu'on m'a demandé ce qui s'était passé, et j'ai du répéter mon histoire à la police. Au final, je ne suis pas allée en cours. Cela m'embêtait. Je n'avais personne à qui demander le cours pour rattraper. J'allais être obligée de faire des efforts le lendemain. Lorsque je suis rentrée chez moi, je me suis laissée tomber sur mon canapé lit, épuisée. J'ai fermé les yeux, et je me suis endormie.

     

    Ce jour-là, il ne faisait pas spécialement beau. La journée a commencé comme d'habitude. Je me suis levée. Je me suis préparée. Je suis partie à la fac en marchant tranquillement. Là-bas, j'ai réussi à trouver quelqu'un qui m'a prêté ses cours. Je les ai photocopié à la fin de la journée, et je suis sortie. J'ai marché tranquillement pour rentrer chez moi. Et je suis passée devant la ruelle. Un homme se tenait sur le coin de mur. Il avait les mains dans les poches, il observait les environs comme s'il attendait quelqu'un. Je ne lui ai pas accordé davantage d'attention. J'ai continué mon chemin, passant devant lui en l'ignorant comme tout passant.

    -Mademoiselle ! Mademoiselle ! S'écria-t-il soudainement dans mon dos.

    Je n'ai pas réagi. J'ai tout d'abord pensé qu'il appelait quelqu'un d'autre. Personne ne m'appelait jamais. Alors, je continuais de marcher, comme d'habitude. Puis, quelqu'un m'a attrapé à l'épaule et je me suis arrêtée. C'était à ce moment là que j'ai compris que c'était à moi qu'il parlait. Je me suis tournée vers lui, le regardant avec curiosité pour comprendre pourquoi. Et je l'ai reconnu. C'était l'homme que j'ai sauvé.

    -Vous êtes bien la personne qui est venue m'aider l'autre jour ? Il me semble vous reconnaître. Me dit-il d'un ton calme et plein d'espoir.

    J'ai répondu d'un simple hochement de tête, ne sachant pas quoi lui dire d'autre. Je ne comprenais pas ce qu'il me voulait. J'ai rapidement compris qu'il m'a attendu ici dans l'espoir de me croiser. Ce n'était pas difficile. Mais je n'en voyais pas la raison. Certes, je l'ai aidé, mais il pouvait reprendre sa vie là où elle en était à présent. Il était inutile de me chercher, de bouleverser ses habitudes pour moi. Il m'offrit un beau sourire, qui se transforma aussitôt en une grimace de douleur.

    -Je tenais à vous remercier. Sans vous, qui sait ce qu'ils auraient pu me faire d'autre. Ajouta-t-il sur un ton qui montrait parfaitement sa reconnaissance.

    -Il n'y a pas de quoi. C'est normal. Me contentai-je de répondre dans un haussement d'épaules pour ensuite faire demi-tour dans l'intention de continuer mon chemin en le laissant derrière moi. Il n'était qu'un individu parmi tant d'autre, et maintenant, il faisait partie du passé. Il m'appela une nouvelle fois, me priant d'attendre, de ne pas partir toute suite. Je ne comprenais pas pourquoi il tenait tant à rester avec moi. Cela n'allait pas. Je voulais rentrer chez moi, comme d'habitude. Cependant, je me suis quand même retournée, pour pouvoir comprendre son intérêt envers moi.

    -Puis-je vous inviter à prendre un café ? Me proposa-t-il avec un air suppliant.

    -Pourquoi ? Lui dis-je sur la défensive.

    Je n'étais pas à l'aise avec les gens. Les gens, c'étaient des étrangers pour moi. Je ne les connaissais pas. Je ne savais pas ce qu'ils pensaient, ni leurs intentions. Et cela me faisait peur. Je n'avais aucun contrôle sur les autres qui, à chaque instant, pouvait me faire du mal.

    -Je vous l'ai dit, je tiens à vous remercier. Et un simple merci me semble insuffisant pour tout ce que vous avez fait pour moi. Me répondit-il sans se laisser perturber par mon attitude et ma méfiance à son égard.

    -Je ne vais pas avec les étrangers. Marmonnai-je en soupirant, priant le ciel pour que je sois de nouveau tranquille, loin de cet homme.

    -Je m'appelle Jeff. Jeff Benson. Se présenta-t-il alors, à ma plus grande surprise. Je ne suis donc plus un étranger.

    Je ne savais pas quoi répondre. Je ne m'étais pas attendue à une telle réplique de sa part. J'étais maintenant capable de mettre un nom à son visage qui a gardé les traces de son agression. Un visage qui affichait un air plein d'espoir, une moue suppliante, comme s'il me disait en silence d'accepter son invitation, de le suivre afin qu'il puisse me remercier à sa guise, s'acquitter de la dette qu'il avait envers moi. J'étais persuadée que la raison d'une telle envie venait de là. Il se sentait redevable. Je l'avais sauvé, il voulait se débarrasser de ce poids. Cela me semblait logique, et cela me vexait. Je ne voulais pas qu'il se serve de moi comme d'un moyen de se soulager, de vivre sa vie sans aucun remord.

    -Enchantée. Marmonnai-je tout de même au bout d'un instant de réflexion. Mais ce café est inutile. Un simple merci suffit. Vous n'avez aucune dette envers moi. Au revoir, et bonne journée. Concluai-je tout en reprenant ma route.

    J'espérais qu'il allait se décider à me laisser tranquille, qu'il allait reprendre sa vie en m'oubliant tranquillement, tandis que moi, je continuais mon bout de chemin sans grand intérêt. Je l'espérais. Mais ce ne fut pas le cas, puisqu'il insista. Je tentais de l'ignorer, mais il était bien décidé à me suivre tout en me suppliant d'accepter de prendre un café avec lui. Je ne comprenais pas pourquoi il agissait ainsi. Cela me paraissait totalement absurde. Il ne me connaissait pas, je n'étais strictement rien pour lui, et pourtant, cela lui tenait à coeur. Cela s'entendait dans sa voix, si bien qu'il a fini par me faire de la peine. J'ai fini par accepter, à la longue, tout en exigeant en retour une explication. Je l'ai donc suivi en trainant des pieds derrière lui. J'essayais de calmer ma frustration de ne pas retrouver mon studio dans l'immédiat en me disant que ce serait l'affaire d'une petite heure, au maximum. Je ne voulais pas rester trop longtemps avec cet étranger qui me perturbait plus qu'autre chose. Lorsque nous arrivâmes à un petit café plutôt tranquille en cette fin d'après-midi, nous nous installâmes en terrasse. J'ai simplement commandé un coca. Je ne voulais pas plus. J'étais nerveuse, scrutant les autres clients avec inquiétude. Je n'étais pas dans mon élément, et cela me mettait mal à l'aise. Je mis mes mains entre mes jambes serrées qui tremblaient légèrement. J'avais hâte qu'il dise quelque chose, histoire d'en finir. Je voulais rentrer chez moi.

    -Je vous ai dit comment je m'appelle, mais je ne connais même pas votre nom. Remarqua-t-il à voix haute, comme une demande déguisée. Je lui jetai un regard méfiant, me demandant s'il fallait que je lui dévoile mon identité. Je ne connaissais que son nom, et cela ne suffisait pas pour que je lui fasse confiance. Or lui donner mon nom serait pour lui d'en savoir plus sur moi, alors que moins il en saurait, mieux cela serait.

    -Mélody. Soufflai-je finalement, résignée. Je sentais que si je ne lui disais pas au moins mon prénom, il allait insister, comme tout à l'heure. Et je n'en avais pas envie. Pas du tout.

    -C'est très joli. Me dit-il avec un sourire, pensant sans doute que j'allais me détendre ainsi.

    J'ai haussé simplement les épaules, me fichant de son opinion. Comme tout le monde, je n'ai pas choisi mon prénom, et je ne voyais pas en quoi il pouvait être sujet à compliment. C'était ma mère qu'il devait féliciter pour ce choix, non pas à moi. Un serveur vint apporter notre commande, et Jeff paya pour nous deux. Je ne protestais pas, le laissant faire. Après tout, il m'avait dit dès le début qu'il voulait m'inviter. Pendant ce temps là, j'ai remarqué un groupe de filles, assises à une table voisine de la notre. Elles observaient avec attention celui que je considérais comme un parfait étranger. Elles le regardaient avec envie, en souriant, riant, jacassant comme des adolescentes. Je trouvais cela pathétique, d'autant plus que je ne comprenais pas pourquoi elles agissaient ainsi. Alors, j'ai scruté à mon tour mon voisin de table. Il était jeune, il devait avoir mon âge. Il avait des cheveux bruns en bataille, comme s'il prenait pas vraiment la peine de les coiffer un minimum. Il avait aussi les yeux marrons, un beau visage ainsi qu'une barbe de trois jours. Sans parler de ses quelques blessures. Il était bien habillé aussi, mais je n'y ai pas prêté davantage attention. Il était certes, un homme séduisant, «orgasmique» comme le qualifiaient les filles de l'autre table dont je parvenais à entendre des bouts de leur conversation. Un terme que je trouvais encore plus ridicule que leur attitude. Puis, soudainement, l'un d'elles se pencha vers ses amies et murmura quelque chose. Aussitôt après, elles se mirent toutes à me regarder avec dédain sans que je sache pourquoi.

    -Elles doivent penser que vous êtes ma copine. S'en amusa alors Jeff, qui a remarqué mon intérêt soudain pour ce groupe de jeunes filles.

    Je lui jetai un regard intrigué, avant de boire mon verre d'une traite. Je ne voyais pas pourquoi ces filles pensaient que lui et moi formions un quelconque couple. Nous étions seulement assis à une table sans même parler. Nous n'agissions pas comme deux niais amoureux, se tenant la main, se dévorant des yeux tout en se donnant des petits surnoms complètement idiots. Ceux qui jugeaient sans savoir m'agaçaient du haut point. Ils devraient se mêler de leur vie, ces gens là.

    -En fait, si je tenais tant à vous invitez, ce n'est pas seulement pour vous remercier. M'avoua-t-il subitement la tête basse.

    Je ne lui ai pas répondu. J'attendais simplement la suite de son explication, la seule chose pour laquelle j'étais ici, avec lui, avec ce type que je ne connaissais pas et que je n'avais pas envie de connaître. Je donnerais volontiers ma place à l'une des ces filles si c'était possible.

    -En réalité, je... J'ai votre visage en tête depuis que vous m'avez sauvé. Depuis que je vous ai vu, quelque chose m'intrigue. Ajouta-t-il après une minute de silence où il semblait chercher ses mots. Quelque chose semblait étrange dans votre regard, et même votre attitude m'intrigue. Je ne saurai pas en quoi, mais vous êtes quelqu'un de terriblement intrigante Mélody.

    Je ne dis rien. Je ne voulais pas répondre. Son explication ne me convenait pas, car elle montrait qu'il s'intéressait beaucoup trop à moi. Et je ne le souhaitais pas. Ma vie était parfaite comme elle était, et je ne voulais pas la voir changée. Alors, je me suis levée de table, et je suis simplement partie. Lorsque je l'ai entendu crier mon nom, j'ai couru. Sans regarder en arrière, je n'ai cessé de courir. Mes pensées se chamboulaient dans ma tête et lorsque j'ai enfin mis un pied dans mon studio, je me suis laissée tomber au sol. Je regardais le plafond sans rien faire, allongée par terre. Je laissais le temps défilé, m'en voulant un peu de m'être ainsi enfuie comme une voleuse. Mais je n'avais pas le choix. Il fallait que je parte. Je me roulais en boule comme une petite chose fragile et perdue. Je tremblais comme une feuille, ayant l'étrange impression que ce Jeff allait de nouveau croiser ma route.

     

    Ce jour-là, je redoutais le chemin du retour. Ma journée de cours était terminée, et pourtant, je trainais le plus longtemps possible au CDI de ma fac. Pour une fois, je n'avais pas envie de rentrer chez moi. J'avais peur de le croiser sur le chemin, de l'entendre insister pour que je réponde à ses questions. J'ai alors supposé que si je rentrais tard, peut-être qu'il serait déjà parti pour rentrer chez lui, las de m'attendre. Il faisait nuit lorsque j'ai dû quitter les lieux. Je n'avais plus d'autre choix que de prendre le chemin de mon studio. Il faisait froid, très froid. Je marchais vite pour me réchauffer, mais aussi pour rentrer le plus vite possible chez moi. Je n'aimais pas être dans les rues quand il faisait aussi sombre. Cela me faisait peur. Je marchais vite pour retrouver les murs rassurants de mon studio, et lorsque je suis passée devant la ruelle, je ne l'ai pas vu. J'ai soupiré de soulagement, mais je continuais d'avancer à la même allure. J'étais contente de ne pas avoir croisé son chemin, mais j'avais vite déchanté lorsque je l'ai vu attendre à la porte de chez moi, assis à même le sol. Il s'est immédiatement levé quand je me suis approchée avec méfiance, prête à m'enfuir en cas de problème.

    -Je suis désolé. Me bredouilla-t-il aussitôt, ayant sans aucun doute remarqué la crainte qu'il m'inspirait. Mais je n'ai pas pu m'empêcher de vous suivre, hier. Mais rassurez-vous, je vous promets que je ne vous veux aucun mal.

    -Pourquoi ? Lui demandai-je alors, la voix tremblante trahissant ainsi la peur que j'éprouvais en cet instant. Ce type savait où je vivais, connaissait l'endroit où je me sentais le plus en sécurité. Ce type que je ne connaissais pas, n'arrêtait pas de me poursuivre sans que je sache la raison. -Pourquoi venir me voir sans cesse ? Pourquoi ne pas me laisser tranquille ?

    -Suivez moi, et je vous promets que je vais tout vous expliquer.

    J'hésitais pendant un moment. Cet homme passait son temps à vouloir me parler, passer du temps avec moi alors que les autres préfèrent m'éviter. Il revenait perturber ma route avec obstination, comme si une force extérieure l'obligeait à le faire. Cela se voyait dans son regard que c'était important pour lui. Quant à moi, j'étais dans un épais brouillard, m'interrogeant sur ses motivations. J'étais devenue invisible aux yeux du monde, et lui seul semblait réussir à me voir, et s'accrochait désespérément à cette vision. J'étais une pauvre fille tout ce qu'il y a de plus banale, n'ayant rien de particulier qui pourrait attirer une quelconque attention, et pourtant, quelque chose l'a poussé à venir ici, devant chez moi. J'ignorais si c'était une bonne idée, mais je l'ai suivi. Nous sommes sortis dans la rue, et nous marchions dans la rue sans émettre le moindre son. Je sursautais au moindre bruit et Jeff me rassurait aussitôt sans même s'intriguer de mon attitude. Nous continuions notre chemin sans plus nous préoccuper de quoique ce soit, nous tenant à une distance raisonnable de l'autre, les mains profondément enfoncées dans les poches. Nous arrivâmes dans un parc après une bonne demie heure de marche. Il m'invita ensuite à m'asseoir à côté de lui sur un banc, juste en face d'une fontaine. Mon regard se perdait dans l'eau qui coulait, hypnotisée par l'éclat de la lune qui se reflétait dans l'eau. Jeff ne disait rien, mais je ne prêtais plus attention à lui, perdue dans mes songes.

    -C'est pour cela que vous m'intriguer. Me souffla-t-il au bout de quelques minutes.

    Je tournai alors la tête vers lui, ne comprenant pas où il voulait en venir.

    -Je l'ai remarqué ce soir là. Lorsque vous m'avez parlé, j'ai levé la tête, et que j'ai croisé votre regard. Un regard complètement vide. Vide de toutes émotions. Vide de vie. Votre regard, il n'exprimerait rien. C'était étrange, et je voulais comprendre.

    -Il n'y a rien à comprendre. Murmurai-je en réponse, tout en posant de nouveau mon regard sur la fontaine, me sentant soudainement, et étrangement, en confiance. Je ne crois en rien. Pour moi, la vie n'est qu'une absurde comédie totalement fade. Je n'attends rien de l'existence. Je me contente de vivre en attendant la fin. Je sais que je vais sans doute attendre longtemps, mais j'attends. Je ne crois pas en la vie. Je ne crois pas en l'espoir. Je ne crois pas aux sentiments. Pour moi, ce ne sont que des choses stupides qui donnent l'illusion que la vie mérite d'être vécue.

    Il n'a rien répondu. Il semblait réfléchir tandis que moi, je continuais ma contemplation de la fontaine. Puis, je l'ai senti se rapprocher de moi mais je n'ai pas réagi. Je me fichais de ce qu'il faisait. J'étais comme perdue dans un autre monde.

    -Alors, je n'ai qu'une nuit pour vous prouver le contraire. Me susurra-t-il au creux de l'oreille.

    Je me suis alors tournée vers lui en lui jetant un regard plein d'incompréhension. Je ne voyais pas où il voulait en venir, et je le trouvais de plus en plus étrange. Cependant, je n'avais pas envie de fuir. Je voulais savoir ce qu'il allait se passer. Il m'offrit alors un sourire pour ensuite me prendre la main pour me forcer à le suivre une nouvelle fois. Il me demanda de fermer les yeux, ce que j'ai fait. Il m'emmenait quelque part, sans que je sache où. Il se mit à courir tout en me tenant fermement la main. Je n'avais pas d'autre choix que de suivre la cadence. Je sentais le vent me fouetter le visage sans que cela soit désagréable. Nous devions avoir l'air de deux idiots, à avancer ainsi. Et moi, j'étais idiote de le suivre ainsi aveuglément. Je ne connaissais que son nom, et pourtant, j'avais l'impression que je pourrai le suivre au bout du monde. Mais soudainement, il s'arrêta de courir pour ensuite m'autoriser à ouvrir les yeux. Je découvrais alors un monde incroyable. La mer s'étendait à perte de vue, les étoiles et la lune se reflétant merveilleusement dedans. Il ne faisait pas froid, il faisait plutôt doux. Quelques fleurs parsemaient sur le sol, entre les brins d'herbes. C'était tout simplement magnifique. J'avais l'impression d'être dans un lieu extraordinaire coupé du reste du monde où l'air avait l'odeur de la liberté, de la tranquillité, du bonheur à l'état pur. Un lieu incroyablement romantique, je ne pouvais que l'admettre.

    -Où sommes-nous ? Lui demandai-je dans un souffle, émerveillée par la splendeur de cet endroit.

    -Dans un monde à part. Me répondit-il dans un murmure.

    Je l'ai alors regardé, et j'étais surprise de constater que ses blessures avaient disparu, comme si elles n'avaient jamais existé. Je ne pouvais m'empêcher de tendre la main vers son visage pour toucher du bout des doigts sa peau lisse qui n'avait aucune imperfection. Sous le clair de lune, il était divinement beau. Il me laissait faire sans rien dire, plongeant son regard dans le mien, voulant presque voir mon esprit, me comprendre au travers de mes yeux. C'était étrange. C'était comme si le temps s'était arrêté.

    -Mélody, croyez-vous au moins à l'amour ?

    -Non. L'amour n'est qu'un sentiment passionné entre deux personnes. Un sentiment qui n'est possible que grâce à des hormones. L'amour n'est qu'une sécrétion d'hormones. Ce n'est rien d'autre... Qu'une sécrétion d'hormones. Soufflai-je, l'esprit ailleurs.

    -Tu as une vision très scientifique de ce sentiment.

    -Je ne connais que cette vision, car le sentiment en lui-même, m'est parfaitement inconnu. Lui avouai-je sans savoir pourquoi je me confiais ainsi. Je ne suis qu'un résidu de la vie. Je n'aurais jamais du naitre. Je suis le résultat d'un oubli. Ma mère s'est rendue compte trop tard qu'elle était enceinte. Mon père s'est barré dès qu'il l'a su. Mes grands-parents ont mis ma mère à la porte. Enfin, ma mère m'a toujours détesté pour avoir détruit sa vie. Je n'ai connu que la haine et la souffrance. Comment croire en la vie si on ne connait rien d'autre ?

    Il ne me répondit pas, et j'ai alors pensé qu'il se résignait. Mais j'avais tort, puisqu'en fait, il comprenait pourquoi mon regard était si vide, si éteint. Et j'ai vite compris qu'il voulait simplement y faire naitre cette étincelle que tout le monde possédait, sauf moi. Il me prit une nouvelle fois la main, tout en me regardant dans les yeux. Il la lâcha, prenant ensuite mon visage entre ses mains. Je me sentais bizarre. Ma respiration était plus lente. Mon coeur semblait battre plus vite. Quelque chose se tordait dans mon ventre. C'était étrange, et pourtant, je ne m'étais jamais sentie aussi bien de toute ma vie. Doucement, il se pencha vers moi pour s'emparer de mes lèvres avec tendresse. A cet instant, plus rien ne semblait compter. J'oubliais tout mon environnement, ma vie, mon passé, ne pensant qu'à lui. Qu'à Jeff. Qu'au doux contact de ses lèvres contre les miennes. Un contact que l'on nommait baiser et qui me donnait l'impression d'être sur un nuage tellement que je me sentais légère. Pour la première fois de ma vie, je me sentais vivante.

     

    Aujourd'hui, ce sont les rayons du soleil qui m'ont réveillé. En voyant le ciel bleu, je ne peux m'empêcher de sourire. Je reste quelques minutes allongée dans mon lit, totalement détendue, admirant l'extérieur et profitant des chants des oiseaux. C'est le printemps. Je me lève, me prépare, puis je sors pour aller en cours. Il fait bon dehors, ni trop chaud, ni trop froid. Je souris toute seule comme une idiote, tout en regardant le ciel. Une belle journée qui s'annonce. Mes pensées vagabondent, je me perds dans mes songes. Je me sens bien. Je ne dirai pas que je nage dans le bonheur, mais en tout cas, je ne suis pas malheureuse. Soudainement, sans m'y attendre, je percute quelqu'un. Je m'excuse aussitôt, honteuse de ne pas avoir fait attention. Il me sourit, en me disant que ce n'est rien. Il me dit vaguement quelque chose, comme si je l'avais déjà vu.

    -Excusez-moi, mais... On se connait ? Demandai-je, intriguée par ce visage qui m'est étrangement familier.

    -Je ne crois pas, non.

    -J'ai du confondre alors.

    -Je m'appelle Jeffrey Benson, et vous ? Se présente-t-il alors, tout en conservant son sourire.

     

    Comme une mélodie,

    Deux âmes suivant le même chemin,

    Avancent pas à pas, main dans la main,

    Pour pouvoir ainsi, se sentir enfin en vie... 

     

     

    ------------------------------------------------------------------------------------Estelle, Mai 2012

     


    votre commentaire
  • Le soleil commença à descendre dans le ciel, et je pressai le pas afin de rentrer plus rapidement chez moi. Je cachai davantage mon visage dans mon écharpe, ne supportant pas le froid qui s'installait de plus en plus et je scrutai avec inquiétude les alentours. Cela faisait quelques mois que je vivais dans cette ville qui m'était encore totalement inconnue, et donc, potentiellement dangereuse à mes yeux. Je croisai tout un tas d'individus et je les observai avec une certaine crainte alors qu'eux, m'ignoraient simplement. Lorsque j'arrivai enfin chez moi, je me dépêchai de sortir mes clés pour pouvoir rentrer le plus rapidement possible dans mon petit studio, le lieu le plus sécurisant de cette trop grande ville. Une fois à l'intérieur de ces quatre murs protecteurs, je soupirai de soulagement avant de me débarrasser de mon sac, de mon gros manteau, et de mon bonnet. J'allumai le chauffage et je me réfugiai dans mon lit pour chercher un peu de chaleur. Je fermai les yeux, et je ne fis rien d'autre que d'attendre la fin de mes tremblements. J'entendis soudainement mon portable vibrer dans mon sac, et je pestai. Je ne voulais pas quitter la chaleur de mes couvertures, d'autant plus que je savais pertinemment qui venait de m'envoyer un message. Cela ne pouvait être qu'une vague connaissance que je venais tout juste de quitter, et qui avait passé toute l'après-midi à niaiser sur son futur probable petit ami avec qui elle jouait au chat et à la souris. Sa bêtise me faisait rire, mais ses hésitations puériles à répétition commençaient à m'agacer. Prise d'un soudain courage, j'attrapai mon sac pour en sortir mon téléphone et voir ce qu'elle avait bien pu me dire. «Il est beau, mais j'ai bien envie de le faire courir encore pendant un moment, Lore'. Qu'est-ce que je fais ? Je cède ou pas ?». Je soupirai devant une telle imbécillité et je décidai de ne pas lui répondre. Elle était grande, elle avait même deux ans de plus que moi, et de ce fait, elle était parfaitement capable de prendre une décision toute seule. Je me mis sur le dos et j'observais pensivement le plafond. Elle m'agaçait bien souvent, surtout aujourd'hui où elle a passé sa journée à déblatérer sur son brun ténébreux en commentant pendant des heures son physique, dont deux entières à parler uniquement du postérieur de son bellâtre. Mais malgré cela, c'était la seule personne qui déniait m'adresser la parole à l'université. Les autres formaient des petits groupes bien solides et surtout, presque imperméables aux individus étrangers. Ils passaient leur temps à discuter joyeusement, à rire ensemble tout en se sentant parfaitement à l'aise dans cet environnement où je me sentais encore embarrassée. Le bâtiment était grand, trop grand et de nombreux inconnus déambulaient dans les couloirs avec aisance me donnant presque le vertige et créant en moi un sentiment de solitude. Sentiment exacerbé lorsque je rentrais chez moi, où j'avais tout le loisir de penser à mes amis restés dans ma ville natale, et de réfléchir. Ils me manquaient. Avant je les voyais tous les jours mais la distance faisait que ce n'était plus le cas aujourd'hui. Et cette douleur se creusait en moi chaque jour et rien dans cette nouvelle et grande ville ne parvenait à la dissiper. Je ne croyais en rien et le fait que j'aimais ce que j'étudiais ne changeait pas mon état d'esprit, loin de là. Je m'emmitouflai davantage dans mes couvertures, pleurant en silence sur ma triste et pathétique situation. J'étais seule dans mon coin, et je n'avais personne à qui expliquer ce que je ressentais, à quel point j'avais mal. J'étais entrée dans un nouveau monde qui se fichait royalement de ma personne, et je n'avais pas d'autre choix que de souffrir en silence, et de garder la tête haute malgré tout. C'est sur cette dernière pensée que je fermai les yeux, sombrant sans difficulté dans le sommeil.

     

    Prendre son mal en patience

    Oublier l'insouciance

    Ne pas avoir confiance

    Prendre son mal en patience...

    Devant les autres, se forcer à sourire,

    Et faire semblant de se réjouir...

     

    Une drôle d'odeur me chatouilla les narines lorsque je repris conscience. Un vent frais glissa sur mon visage, transportant avec lui une senteur de fleur. J'ouvris doucement les yeux, et je découvris avec stupeur un magnifique ciel bleu qui s'étendait juste au-dessus de moi. Je restai immobile pendant quelques secondes avant de brusquement m'asseoir. J'étais au milieu d'un champ de fleurs, toutes plus colorées et splendides les unes que les autres. Je pensai tout d'abord que je rêvai, mais je ressentais les choses avec tellement de clarté, de précision, de la même façon que si j'étais éveillée, que je me suis mise à en douter. Ce monde était étrange par sa beauté irréelle, et pourtant, l'impression d'être dans un rêve disparu rapidement. Je me levai doucement, et je ne vis rien d'autre que des fleurs à perte de vue. Je ne savais pas quoi faire. J'ignorais ce que je faisais ici, et ce lieu m'était totalement inconnu. Mais la curiosité prit le dessus. Je voulais découvrir ce monde merveilleux pour connaître le moindre de ses secrets ainsi que ses failles. Alors, j'avançai, droit devant moi. Je regardai partout, à la recherche de la plus petite irrégularité, d'un infime changement dans le décor. J'avançai, encore et encore, et de plus en plus vite. Je fus comme enivrée par cet endroit, éblouie par la lumière, transportée par la multitude d'odeurs, apaisée par le souffle du vent. Mes sens étaient en éveil, et cela me plaisait énormément. Je me mis à courir, sans plus chercher à savoir où j'allai. Je courai, tout simplement, scrutant l'horizon avec confiance. Je n'avais pas peur, ce monde avait beau être immense, il était tellement parfait qu'il ne pouvait pas être dangereux.

    Pourtant, je trébuchai, pour me retrouver brusquement le nez dans les fleurs. Je pestai aussitôt, maudissant l'obstacle qui me ralentit dans mon heureuse avancée, dans mon émerveillement. Cela faisait tellement longtemps que je ne m'étais pas sentie aussi légère, mais je fus contrainte de redescendre sur terre. Cela s'ajouta à mon agacement et à ma frustration.

    «Pourquoi cours-tu Lorelei ?» Me demanda soudainement une voix masculine qui m'était totalement inconnue. Je n'avais vu personne jusque là, et j'étais étonnée de croiser quelqu'un, et le fait qu'il connaisse mon nom s'ajouta à ma surprise. Je m'appuyai sur mes avants-bras pour l'observer avec hébétude.

    «Qui es-tu ? Comment tu connais mon nom ? Lui répondis-je alors qu'il s'agenouilla à mes côtés en souriant.

    -Je m'appelle Keylien. Et la façon dont je connais ton nom n'a pas d'importance.» M'assura-t-il sans perdre son sourire.

    Il n'ajouta rien et je fus plutôt intimidée. Il devait avoir à peu près mon âge, peut-être même un peu plus vieux, et semblait plutôt sympathique. Il m'aida à me relever, et je me sentis toute petite à côté de lui. Lorsqu'il me regarda dans les yeux, mon regard se perdit dans cet océan et j'eus l'impression de m'évader, de m'égarer dans la réalité. Je secouai légèrement la tête pour retrouver mes esprits tout en me traitant d'idiote, et je réalisai qu'il ne m'avait pas lâcher la main. Il afficha une nouvelle fois un charmant sourire pour ensuite m'inciter à le suivre. J'ignorai où il voulait m'emmener, mais je me sentais étrangement en confiance. Il avança tranquillement, en prenant son temps, et dans un sens, cela m'agaça. J'avais tellement hâte de découvrir ce monde que cette lenteur me frustrait plus qu'autre chose. Je me demandai s'il le faisait exprès, et son sourire en coin me le confirma. Cependant, je ne pouvais pas accélérer la marche, je n'avais pas la moindre idée de la destination. J'observai mon environnement, les fleurs à perte de vue et le soleil qui se couchait, donnant au ciel une magnifique couleur rosée. Je fus comme fascinée par le paysage, à un point que j'en oubliai presque Keylien. Une telle beauté me transporta, m'éblouit. J'étais calme et je ne m'étais jamais sentie aussi bien. Je ne faisais plus attention du lieu où j'allais, d'où j'étais, avec qui j'étais. Ce fut incroyable, mais la surprise de ce phénomène ne m'atteignit pas. Soudainement, je sentis que Keylien m'empêcha d'avancer davantage sans faire un quelconque geste brusque. Je revins doucement à la réalité, et je vis un immense gouffre s'étendre devant moi. J'eus aussitôt un mouvement de recul, terrifiée par ce vide sous mes pieds, désirant m'en éloigner le plus possible. Je lançai ensuite un regard interrogateur vers mon guide qui semblait sûr de lui et qui m'inspirait toujours autant confiance. Dans ces yeux, je ne voyais que gentillesse et affection, et il n'y avait aucune trace de malveillance quelconque.

    «Saute.» Me dit-il simplement.

    Au ton de sa voix, je sus que ce n'était pas un ordre, mais plutôt un conseil. Mais ce simple mot me surprit. Je ne m'attendais pas à entendre cela et lorsque je vis la profondeur du gouffre, je me dis aussitôt qu'il était tombé sur la tête. Une telle chute ne pouvait qu'être fatale, et je n'avais aucune envie de tenter l'expérience. Je fis savoir mon refus par un nouveau mouvement de recul et ma crainte s'afficha sur mon visage.

    «Prend des risques. Saute. Tu ne risques rien, je te le promets.» M'affirma-t-il en souriant une nouvelle fois.

    Il voulait me mettre davantage en confiance, et je comprenais bien qu'il voulait me montrer quelque chose. Et le seul moyen pour cela, c'était de faire ce qu'il disait. Je m'approchai doucement du bord et je scrutai avec inquiétude le fond que je ne parvins pas à voir. Je lançai un dernier regard vers le visage bienveillant de Keylien, puis, je fermai les yeux. Sans réfléchir une seconde de plus, essayant d'oublier un instant mes peurs, je sautai.

    La sensation était étrange. Je n'avais plus aucun contrôle de mes gestes, de mes mouvements. Je pouvais faire ce que je voulais, je continuais de tomber et cela me terrifiait. Je suffoquais, je cherchais du regard la moindre chose à laquelle je pourrais m'accrocher. Mais il n'y avait rien, je ne discernais plus rien et cela me désespérait. Je sombrais dans le vide et rien n'arrêtait ma chute. J'essayais de hurler, de manifester ma terreur, d'appeler à l'aide mais rien ne se produisait. J'étais perdue dans un trou immense et je finissais par me résigner. J'abandonnais, je baissais les bras et je me laissais volontairement tomber sans plus me battre. Je vis des branches, mais je tentai même plus de les attraper. Je pensai-s que je n'avais plus aucune chance. J'étais finie, et j'allai m'écraser comme une imbécile au fond du gouffre.

    Mais soudainement, sans que je m'y attende et alors que j'allais atteindre le fond, quelqu'un me rattrapa et me prit dans ses bras. C'est avec surprise que je vis Keylien, qui me souriait avec amusement. Je fus hébétée de le voir, mais aussi soulagée. Aussitôt, et sans que je m'en rende réellement compte, nous fûmes de nouveau au bord du gouffre et il me reposa à terre tout en gardant ma main dans la sienne. J'observai une nouvelle fois le vide, sans aucun désir d'y retourner.

    «Tu passes ton temps à courir, et tu finis par tomber. Mais sache qu'il y a toujours quelqu'un qui est là pour t'aider à te relever... Même si tu n'as plus d'espoir. M'affirma-t-il avec une voix douce et calme.

    -J'aurais pu mourir. Soufflai-je en réponse, encore sous le choc de ma chute.

    -Non, car ce n'était pas réel.» Me contredit-il tout en m'emmenant autre part.

    Je le suivis sans la moindre hésitation. Je me fichais de l'endroit où il m'emmena et je ne regardai que lui pendant tout le trajet. Ma main dans la sienne, sa proximité, sa présence me rassurèrent. Je me sentais protégée avec lui, et quelque chose au fond de moi me disait que rien ne pouvait m'arriver tant que je serai avec lui. C'était une étrange sensation, presque irréelle, mais j'aimais cela. Le reste n'avait que très peu d'importance.

    Nous arrivâmes en haut d'une montagne, ce qui me surprit. Je n'avais pas fait attention au décor durant notre avancé, et j'étais déconcertée de voir le monde entier devant moi. Il s'assit, et m'invita à faire de même. Je me perdais dans l'horizon avec plaisir, mais je savais que rien de tout cela n'était réel. Tout était trop beau, trop incroyable pour que cela puisse exister réellement.

    «Tout est fictif, rien n'existe.» Murmurai-je alors, me décidant à faire part de mes pensées. Dire cela à voix haute me fit du mal, mais me soulagea aussi, d'une certaine manière. Keylien me regarda, comme s'il s'attendait à ce que je dise autre chose.

    «Je ne veux pas revenir dans le monde réel. Avouai-je alors dans un soupir. L'illusion est plus simple.

    -Mais rien n'est plus beau que la réalité.» Me susurra-t-il au creux de l'oreille, tout en me tendant une splendide rose rouge. Je la pris entre mes doigts et je souris. Je tournai mon visage vers lui, qu'il prit entre ses mains. Ses lèvres se posèrent tendrement sur les miennes et je sombrai dans un tourbillon de rêves.

     

    Lorsque s'installe la nostalgie,

    Le jour vient où je te vois,

    Dès cet instant, plus rien ne compte à part toi,

    Te parler me fait oublier tous mes soucis...

     

    J'ouvris doucement les yeux et je vis les rayons du soleil traverser la fenêtre. Je m'assis dans mon lit, et ce fut avec une certaine déception que je réalisai que j'étais dans mon studio. Je soupirai au souvenir de mon merveilleux rêve, puis je me décidai à me lever pour pouvoir me préparer à aller en cours. Je pris mon temps, n'étant pas spécialement pressée. Je m'étais réveillée en avance, je n'avais aucune raison de me dépêcher. J'eus même le temps d'observer la rue, les quelques personnes dehors au travers de ma fenêtre.

    Au moment de partir, lorsque je récupérai mon portable posé sur la table basse, et j'eus un moment d'hésitation. Je me souvenais parfaitement du message que j'avais reçu hier et auquel je n'avais pas envie de répondre. Je le relus une nouvelle fois et je réfléchis un instant avant de lui donner finalement une réponse.

    «Fonce ! La vie est trop courte pour attendre !»

    Je ne tardai pas à l'envoyer, puis je souris. Je savais bien qu'elle allait encore me faire partager ses multiples hésitations, mais j'étais plutôt de bonne humeur. Je saurai prendre le temps de l'écouter et de la conseiller. Du moins, j'essaierai.

    Je pris mes affaires et je me dirigeai vers la sortie de l'appartement tranquillement. Mais en ouvrant la porte, une surprise m'attendait et me déstabilisa, pour ensuite me faire naître un véritable sourire.

    Une rose rouge y était accrochée en évidence.

     

    Non, tout n'est pas fini

    Car se profile un bel avenir

    Il est inutile d'essayer de fuir.

    Des hauts et des bas, c'est ainsi qu'est faite la vie...

     

     

     

    -----------------------------------------------------------------------------------------Estelle, Novembre 2012


    votre commentaire
  • Dans mes rêves, je me vois dans un parc, tranquillement assise sur un banc tandis que plusieurs personnes passent devant moi. Il y a des familles, des couples, des groupes d'amis ou des gens seuls qui ne sont que de passage. Je les regarde défiler, et je ne fais rien d'autre. Quelque fois, je me baisse pour ramasser un ballon qu'un enfant a lancé trop loin, et je lui rends avec le sourire. Il ne se produit jamais rien d'extraordinaire dans mes rêves, et ils peuvent paraître stupides aux yeux des autres. Mais pour moi, ils sont merveilleux par le simple fait que j'ai l'impression de sentir le vent sur mon visage, d'entendre les oiseaux chanter et d'avoir l'odeur des fleurs me titiller les narines. C'est tout simple, mais cela crée en moi un sympathique bonheur éphémère.

    Puis, je me réveille. J'ouvre les yeux sur un monde gris et fade. Je tourne la tête pour voir l'heure affichée sur mon réveil, et je soupire. Je me lève pour sortir d'un pas lent de ma chambre. Je me prépare une simple tasse de thé, avant d'aller m'asseoir sur ma chaise, sagement posée, à sa place, à côté de la fenêtre donnant sur la rue. Je ramène mes jambes vers moi et j'observe l'extérieur tout en buvant tranquillement mon thé. Les gens avancent d'un pas pressé, c'est leur point commun. Certains ont leur téléphone portable vissé à une oreille, d'autres cherchent nerveusement leur clé de voiture au fond de leur sac et d'autres encore avancent en scrutant régulièrement leur montre avant de presser le pas. Ils semblent tous ne pas avoir de temps et je suis comme fascinée mais aussi terrifiée de cela. Ils portent tous de gros manteaux et d'épaisses écharpes en laine. Il doit faire froid dehors, l'hiver s'est installé dans leur vie. Il pleut aussi, un peu, juste quelques fines gouttes.

    Je peux passer des heures ainsi, à rester assise sur ma chaise à regarder dehors. Je vois les gens défiler sur les trottoirs, les voitures passer sur la route et j'essaie d'imaginer leur vie, de faire attention à leur moindre geste, leur moindre mimique, de repérer les visages que je connais déjà pour connaître leurs habitudes. Ils ignorent tout de moi, mais moi, je sais tout d'eux. Ce n'est pas difficile, ils se ressemblent tous. Leurs traits sont différents mais pourtant, ils sont tous semblables. En tant qu'observatrice, je ne peux que le constater. Ces gens sont tous pareils, dans leurs manières et leurs habitudes, mais je ne suis pas comme eux. Je ne sors jamais dehors, le monde extérieur m'est inaccessible. Je m'arrange toujours pour ne pas quitter les murs rassurants de mon petit appartement. Le reste me fait peur, me tétanise. Ces inconnus sont des étrangers, des êtres différents qui forment un immense groupe qui me terrifie. Me retrouver au milieu d'une foule m'est insupportable et je préfère rester chez moi, avec la solitude pour unique compagnie. Les gens sont loin de moi et ils ne savent même pas que j'existe.

    C'est peut-être pour cela que je me sens différente. Je ne suis pas comme eux. Eux, ils parviennent à sortir et à vivre leur vie dans la société. Moi, je reste seule à les observer, ne supportant pas l'idée de devoir les rejoindre. Je ne suis pas comme eux, je ne peux donc pas faire partie de leur groupe. Pourtant, je suis assez banale, similaire à n'importe qui. Je pourrais facilement me fondre dans la masse et me faire oublier du monde sans aucun problème. Je n'ai même pas un quelconque signe distinctif qui puisse être jugé anormal, m'éloignant ainsi du reste du monde. Mais je suis tout de même différente. J'ignore en quoi exactement, mais je ne suis pas comme eux. Et cette différence fait que je ne peux pas me mêler à eux. C'est tout à fait impossible.

    Soudain, la sonnette se fait entendre. Je sursaute, apeurée par cette soudaine intrusion dans ma vie, perturbant mes habitudes. Je reste immobile sur ma chaise, refusant obstinément de bouger. L'inconnu va se lasser de l'absence de réponse, et finira par s'en aller. Du moins, je l'espère. Mais étonnamment, il n'insiste pas. Seul le silence semble s'installer suite à cette perturbation. Au bout de quelques minutes, je me lève, intriguée par cette étrange visite. J'ouvre légèrement la porte et je ne vois personne. Je baisse le regard, et je remarque une grande boite en carton posée sur le sol. Je me dépêche de la récupérer pour ensuite fermer la porte à clé, soulagée de n'avoir vu personne. Je retourne sur ma chaise et j'ouvre le carton avec empressement et curiosité. A l'intérieur, il y a quelque chose d'enveloppé dans du papier et une lettre posée dessus en évidence. Je la prends et je la déplie pour lire les quelques mots gribouillés sur la feuille blanche.

    «S'il te plait, viens. Mets ça et tu seras comme tout le monde.»

    Ce n'est pas signé, mais toute signature est inutile. Je laisse la feuille glissée entre mes mains, tombant doucement jusqu'au sol, juste à côté de moi, et elle ne m'intéresse plus. Mon attention se concentre uniquement sur ce qui est caché, et je ne tarde pas à enlever le papier pour y découvrir un magnifique masque. Le visage est blanc, les lèvres sont colorées de roses et de paillettes et les contours des yeux sont joliment ornés de doré. Il est entouré d'une décoration en forme de feuilles roses, ainsi que de quelques et légères plumes rouges. Il y a aussi un fin bâton blanc attaché au masque, permettant de le tenir. En-dessous, soigneusement dissimulée mais néanmoins visible lorsque l'on y fait attention, se trouve une invitation pour une soirée costumée qui a lieu le soir même. Je lâche brusquement le masque et je rejette violemment la boite où il se trouve pour ensuite me recroqueviller sur ma chaise, me balançant légèrement d'avant en arrière. Elle veut me faire sortir de chez moi et m'inciter à me mêler à une foule d'inconnus qui me terrifie. Elle veut me forcer à affronter une multitude de visages que je ne connais pas mais qui vont se tourner dans ma direction. Ces gens vont donc me détailler, me juger, voir ma différence. J'imagine déjà leur regard sur moi, et j'entre dans un état de panique incontrôlable. Mes doigts se mêlent à mes cheveux, quelques larmes parvenant à couler sur mes joues et j'essaie de respirer calmement pour apaiser mes tremblements. Je finis par tomber de ma chaise, mais je reste allongée sur le sol, enfermée dans ma bulle de terreur. J'essaie de penser à autre chose, sans réellement y parvenir. La perspective de devoir me rendre à cette soirée m'obsède et plus c'est le cas, plus mon angoisse s'intensifie. Mes tremblements cessent. Je reste immobile sur le sol, mes yeux fixant d'un air perdu un point invisible sur le plafond. Ma crise m'a comme épuisée, je suis incapable de penser à quoique ce soit, de faire un quelconque mouvement. J'attends, sans plus me préoccuper de rien, oubliant les secondes qui défilent, ignorant la journée qui continue sans moi. Je ne remarque pas la lumière du jour qui diminue, et je ne réagis pas lorsque quelqu'un frappe à la porte. Je refuse de bouger, l'immobilité ayant un étrange effet apaisant sur moi. Un bruit de clé dans une serrure parvient vaguement à mes oreilles et quelqu'un entre doucement dans mon appartement. Je perçois d'autres sons, mais je n'y fais pas attention. Elle me force à me lever, et je me laisse faire comme si je n'étais qu'une vulgaire poupée sans vie. Je jette à peine un coup d'œil sur le visage, identique au mien, de ma sœur qui me sourit. Elle est la seule personne que je peux supporter près de moi. Notre ressemblance doit y être pour beaucoup. Elle n'a rien d'une inconnue, elle est en tout point identique à moi et notre seule différence majeure est qu'elle est plus vive, plus ouverte, plus joyeuse que moi. Elle essaie de m'aider du mieux qu'elle peut, et elle est bien la seule à ne pas abandonner le cas désespéré que je suis. Elle me vêtit d'une belle robe rouge et dorée à laquelle je ne prête pas beaucoup attention. Je me laisse faire sans protester, me sentant comme vidée de toute émotion. Elle me tend le masque que j'ai laissé tomber pour que je le prenne, et nous partons de chez moi. En passant avec difficulté la porte à cause de ma tenue encombrante, je réalise réellement ce qui va m'arriver. J'essaie de faire demi-tour, mais ma sœur me retient et me force à la suivre. Je n'ai plus le choix, je dois continuer. Je reprends mon précédent état, la laissant me guider sur le chemin vers ma future souffrance, n'ayant plus la force de lutter d'une quelconque manière. Je ne fais de nouveau plus attention à rien. Je suis comme coupée du monde et de la réalité, ne faisant même plus attention aux gens qui déambulent sur le trottoir durant le trajet en voiture. Je suis surprise de constater que nous sommes déjà arrivées sur le lieu de la soirée. Nous entrons dans le bâtiment, laissons nos manteaux au vestiaire, et allons dans la salle. Plusieurs personnes sont présentes à l'intérieur, et mon premier réflexe est de me réfugier dans un coin, le plus loin d'eux possible.

    Ma sœur me suit, sans prononcer le moindre mot. Elle tente ensuite de me rassurer, m'invite à mettre mon masque et à observer les autres. Pour une fois, je décide de suivre ses conseils et je remarque que chaque personne présente arbore un masque devant son visage, chaque masque étant plus magnifique les uns que les autres, détournant sans difficulté l'attention. Mes yeux se posent sur les masques, et non sur les visages dont je me fiche. Je regarde ensuite ma sœur, qui affiche un sourire en coin avant de le cacher derrière le sien. Je n'ai pas lu l'invitation en entier, et elle l'a deviné. Elle me laisse pour s'avancer dans la foule et les rejoindre avec aisance. Elle fait partie de ce groupe, ce n'est pas difficile pour elle d'être avec eux, contrairement à moi. Je finis par leur tourner le dos, et je me retrouve en face d'un grand miroir. Je détaille mon reflet avec curiosité, mon regard se posant tout d'abord sur ma robe puis remontant vers mon visage que je ne peux pas voir, car soigneusement dissimulé. Puis, j'observe l'image de la foule derrière mon dos. Tout le monde est vêtu de la même manière que moi, et je suis incapable de voir le visage de qui que ce soit. Je n'arrive même pas à apercevoir ma sœur. Ils sont tous pareils, et ce soir, ce miroir me permet de comprendre que je suis comme eux. Je souris, heureuse de cette constatation, bien que cela ne se voit pas. Soudain, je me sens plus calme, plus apaisée. Je ne panique pas lorsque je remarque que quelqu'un s'approche de moi. Il s'incline, entrant dans un amusant jeu de rôle, puis tend la main dans ma direction. Je la scrute avec curiosité, puis je la saisis sans la moindre hésitation. Il m'attire vers la foule, et pour une fois, je ne prends pas la fuite.

    Je viens de trouver ma place, et il n'est plus question de reculer.

    Ce soir, je suis comme tout le monde. 

     

    -----------------------------------------------------------------------------------Estelle, Participation au --------------------------------------------------------------concours de la nouvelle du CROUS 2012/2013


    1 commentaire